Comment peut-on savoir si les drogues sont dangereuses ? Et si oui à quel point ? Qui croire dans un monde où les paniques morales forgent des politiques publiques et où les scientifiques, quels que soient leur discipline, ne sont que peu ou pas écoutés ? En fait, il est intéressant de savoir que cette manie de s’appuyer sur des anecdotes, des rumeurs et des paniques morales ne date pas d’hier. On pourrait même remonter, en ce qui concerne la France, à l’année 1800.
Mais je vais me concentrer dans cet article sur la manière dont des scientifiques et experts du domaine pratiquent le sujet de la dangerosité des drogues et leur encadrement légal. Quand je parle d’experts, j’entends des drogues, de leurs effets sociaux et biologiques, de l’addiction, des politiques publiques tout autour, etc.
Une échelle rationnelle pour attester des dommages liés aux drogues et à leur mésusage potentiel ?
En 2007 est publiée l’étude Development of a rational scale to assess the harm of drugs of potential misuse1, qui a pour objectif d’évaluer les risques de chacune des drogues afin de proposer une politique publique basée sur des faits et non pas des peurs et des croyances. On peut y voir une comparaison des classifications officielles au Royaume-Uni avec une évaluation de celle-ci basée sur des données scientifiques.
Il existe trois classes de drogues au regard de la loi britannique, de A qui représenterait les plus dangereuses des drogues, à C qui sont tout de même considérées par le gouvernement britannique comme “très dangereuses”. Il n’y a pas de logique particulière dans ce classement, seules les peines relatives à l’usage, la possession et la vente varient quelque peu.
On peut voir que le classement imposé par le gouvernement britannique ne correspond pas vraiment au résulat de l’étude. On trouve par exemple dans la classe A le LSD et l’ecstasy qui sont loin d’être dans le top 5 ou même le top 10 des drogues les plus nocives à cette époque. Ainsi, vendre du LSD au Royaume-Uni peut valoir la prison à vie, et simplement en posséder peut valoir jusqu’à 7 ans de prison, les peines sont extrêmement répressives.
Quand on voit ce classement, on peine à comprendre comment le gouvernement britannique décide de quelle drogue est dangereuse et quelle drogue ne l’est pas. Mais voyons d’abord comment est construite cette “échelle rationnelle” pour évaluer les dommages causés par les drogues, proposée par David Nutt et son équipe.
Trois facteurs principaux déterminent les dommages associés à toute drogue susceptible d’être consommée : les dommages physiques causés par la drogue à l’utilisateur individuel, la tendance de la drogue à induire une dépendance et l’effet de la consommation de drogue sur les familles, les communautés et la société.
Nutt, D., King, L. A., Saulsbury, W., & Blakemore, C. (2007). Development of a rational scale to assess the harm of drugs of potential misuse. The Lancet, 369(9566), 1047–1053. doi:10.1016/s0140-6736(07)60464-4
Ensuite, chaque facteur est décomposé en 3 sous parties :
- Dommages physiques :
- dommages ponctuels graves
- dommages chroniques
- dommages au niveau intraveineux
- Dépendance :
- Intensité du plaisir
- Dépendance psychologique
- Dépendance physique
- Dommages sociaux :
- Liés à l’intoxication
- Autres dommages sociaux
- Coûts des soins
L’évaluation de la propension d’un médicament à causer des dommages physiques – c’est-à-dire des dommages aux organes ou aux systèmes – implique un examen systématique de la marge de sécurité du médicament en termes de toxicité aiguë, ainsi que de sa probabilité de produire des problèmes de santé à long terme. La dépendance quant à elle implique des éléments interdépendants, les effets plaisants de la drogue et leur propension à produire un comportement de dépendance. Enfin, les drogues nuisent à la société de plusieurs manières : par les divers effets de l’intoxication, par les dommages causés à la vie familiale et sociale, et par les coûts pour les systèmes de soins de santé, d’aide sociale et de police. Les drogues qui conduisent à une intoxication intense sont associées à des coûts énormes en termes de dommages accidentels causés au consommateur, aux autres et aux biens publics comme privés
Dans cette étude, chaque critère (9 au total) se voyait attribuer un score de 0 (aucun risque) à 3 (risque extrême) et chaque drogue se voyait donc attribuer un score moyen pour la placer par rapport aux autres. Ces scores ont été demandés à un groupe de psychiatres et un groupe d’experts indépendants avec une plus large expertise (chimistes, pharmacologues, etc). Et cela a donné ceci :
Les deux groupes étaient très proches dans leurs évaluations de chaque drogue. Et cela contrastait donc beaucoup avec le classement légal. Je vous partage la table des résultats pour une vue d’ensemble plus précise.
Bien sûr, c’est une première étude et certaines choses sont discutables. Les avis d’experts sont intéressants, mais restent des avis qui ne valent pas une étude scientifique ou une méta-analyse pour attester de la dangerosité d’une drogue. Cependant, lorsqu’il s’agit d’établir des politiques publiques, il ne paraît pas absurde de nous appuyer sur des experts pour le faire correctement.
De plus, des critères peuvent paraître curieux, comme le fait de compter le plaisir procuré par une drogue dans les dommages liés à la dépendance. Le plaisir ne signifie pas qu’une dépendance va s’installer, et peut même procurer des bienfaits à la personne sur le court et long terme.
Mais c’est une première étude qui permet déjà de poser les bases d’une évaluation des dommages liés aux drogues de manière plus objective, avec une méthode améliorable. David Nutt nous partage une critique qu’il a prise en compte dans son livre Drugs2.
Une autre critique du papier de 2007 dans The Lancet était le fait que nous avons calculé le score final de dommage en donnant à chaque facteur le même poids, alors qu’en fait certains pouvaient être plus importants que d’autres. […] L’analyse décisionnelle multri-critère (MCDA) est une technique souvent utilisée dans des situations où une décision doit prendre en compte différentes sortes d’informations, et où il y a tellement de dimensions que les conclusions ne peuvent être aisément tirées d’une simple discussion. Le MCDA sépare un problème en plusieurs critères, et ensuite compare ces critères les uns avec les autres pour apprécier leur importance relative. Ces critères peuvent inclure à la fois des mesures objectives et des jugements de valeur subjectifs, et peuvent incorporer un élément d’incertitude.
Nutt, D. (2020). Drugs without the hot air: Making sense of legal and illegal drugs. Bloomsbury Publishing. p. 43-44
Les études d’analyse décisionnelle multi-critères de 2010.
Les années et la prise en compte des critiques (ainsi que le renvoi de David Nutt à la suite de son article sur l’equasy) a permis la publication d’un nouveau papier, en 2010, pour affiner le classement des dommages relatifs aux différentes drogues les plus consommées au Royaume-Uni3.
Nous pouvons voir que le papier de 2010 donne une impression différente, autant sur la comparaison que l’on peut faire entre chacune des drogues que la position de quelques-unes qui a beaucoup évolué (le LSD et l’ecstasy étant descendues dans le classement, et le LSD étant finalement considéré comme moins dangereux que l’ecstasy, de peu). L’alcool passe en tête, et de loin, et l’on voit désormais dans le classement une distinction claire entre les dégâts envers soi-même et les dégâts envers la société.
Les critères ont été affinés (on passe de 9 critères en 2007 à 16 en 2010), ce qui permet d’avoir un regard plus fin et précis sur chaque drogue et ses conséquences.
Et le poids de chacun des critères a été évalué différemment puisqu’il reste nécessaire, dans une optique de politique publique, de prendre en compte une part de subjectivité par rapport aux faits objectifs (nous ne sommes pas tous sensibles de la même manière à toutes les conséquences, et simplement calculer le coût économique paraît quelque peu froid et inhumain). C’est là tout l’intérêt d’une analyse décisionnelle multi-critère : prendre en compte les faits sans oublier les ressentis par rapport à ces faits, tout en restant cohérent quant aux conséquences logiques suivant les score que l’on attribue aux divers critères (comme le montre l’article mettant en avant le fait que l’équitation est plus dangereuse que la MDMA au Royaume-Uni, cela nous invite à revoir nos priorités et notre rapport au danger).
Cette décomposition en critère permet énormément de choses, notamment savoir où il serait le plus urgent d’agir d’un point de vue santé publique par rapport à chaque drogue. Ainsi il est possible de constater que la criminalité associée à l’usage d’héroïne est plus un problème que les blessures associées à son usage, et cela donne des pistes de prévention, d’intervention, etc. C’est un outil très pratique. De plus, les chercheurs ont comparé ces résultats avec les résultats d’une étude de 2004 sur la toxicité de différentes drogues, et la corrélation est suffisamment grande (0.66) pour considérer que le classement que l’on a sous les yeux est largement pertinent. Et bien entendu, le classement diffère grandement avec la classification légale.
Quelques mois avant cette étude plus détaillée que celle de 2007, un papier venant des Pays-Bas4 a été publié avec la méthodologie plus simple que l’on a vu en premier.
Bien qu’aucune de ces drogues ne puisse être considérée comme totalement sûre, le public (et certains hommes politiques) semble s’inquiéter de manière disproportionnée du risque lié aux drogues illégales par rapport à celui lié aux drogues légales. Le statut légal de l’alcool et du tabac est le résultat de décisions et de politiques prises dans le passé, et n’est pas fondé sur la science, c’est-à-dire sur un profil pharmaco-toxicologique, comme des effets secondaires limités ou faibles. Pour des raisons principalement économiques, le tabac et l’alcool conserveront probablement leur statut légal à l’avenir. Compte tenu du niveau élevé de nocivité du tabac, qui va des dommages physiques graves (cancer du poumon et risque cardiovasculaire, par exemple) au fort pouvoir de dépendance et au préjudice social représenté par la toxicité et la gêne de la fumée secondaire, cette drogue ne peut plus être considérée comme un produit sûr. De même, l’alcool est associé à un grand nombre de maladies (cirrhose du foie et cancer, maladies cardiovasculaires), crée clairement une dépendance et a une pléthore d’effets secondaires sociaux, tels que l’agressivité, la conduite automobile avec facultés affaiblies et les congés de maladie. En tant que tel, l’alcool n’est pas une drogue sûre et représente une charge sociale et financière importante pour la société. On peut donc conclure que, d’un point de vue scientifique, le tabac et l’alcool sont classés à tort comme des drogues légales (non nocives). En outre, le classement actuel des drogues illégales n’est pas conforme à la classification légale néerlandaise (et internationale) des drogues. Il semble donc que la classification légale actuelle doive être révisée, en particulier en ce qui concerne le LSD et l’ecstasy, qui figurent désormais sur la liste I de la loi néerlandaise sur l’opium (cf. annexe I), qui contient des drogues présentant un risque élevé inacceptable.
Les résultats de ce classement devraient être utilisés pour une classification légale rationnelle des drogues et des mesures politiques de contrôle des drogues. L’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) devrait prendre l’initiative d’effectuer un classement scientifique similaire dans tous les États membres de l’Union européenne afin de faciliter la révision de leur classification légale actuelle des drogues qui, comme l’ont déjà reconnu Nutt et al, est largement arbitraire d’un point de vue scientifique.
Van Amsterdam, J., Opperhuizen, A., Koeter, M., & Van den Brink, W. (2010). Ranking the harm of alcohol, tobacco and illicit drugs for the individual and the population. European addiction research, 16(4), 202-207.
Je n’ai pas besoin de commenter ce classement plus que ça, vous savez ce qu’il faut savoir pour le comprendre, et je vous laisse creuser la législation néerlandaise sur les drogues si le cœur vous en dit. Et on peut se convaincre que cette étude ne vient pas de lobbyistes intéressés dans la mesure où elle a été financée par le Ministère de la Santé, du Bien-être et du Sport néerlandais.
Il est important toutefois de mettre en avant les propos de David Nutt sur les limites du modèle de MCDA qu’il a proposé :
Aucun modèle n’est parfait, et il y a eu certaines limites dans l’approche que nous avons choisie.
D’abord, nous avons mesuré uniquement les dommages causés par les drogues, quand en fait elles ont aussi des bénéfices (au moins initialement, autrement personne ne voudrait les consommer). Mesurer les bénéfices est déjà une partie établie de l’argument pour garder l’alcool et le tabac légal, puisque les emplois qu’ils permettent et les taxes qu’on en tire permet de compenser leur coût du moins en partie. Un modèle plus nuancé pourrait essayer de penser aux coûts comme aux bénéfices, et théoriquement cela serait très facile avec le MCDA, bien que cela puisse être politiquement compliqué.
Deuxièmement, une grande partie des dommages causés par les drogues vient de leur disponibilité et de leur statut légal, donc idéalement un modèle devrait être capable de distinguer entre les dommages directement liés à la drogue, et les dommages liés au contrôle légal d’une drogue. Une large partie du risque d’overdose pour les consommateurs d’héroïne, par exemple, est relié au fait qu’ils ne peuvent avoir accès à un produit pur et régulier. (D’un autre côté, la disponibilité grandissante de l’alcool a certainement contribué à une augmentation importante de ses dommages depuis 50 ans. Je ne suggère pas que l’héroïne devrait être disponible sur les étagères des supermarchés !)
Troisièmement, la plupart des consommateurs sont des poly-consommateurs, et notre étude a considéré seulement l’impact de substances en elles-mêmes. Certaines drogues sont plus dangereuses en mélange – par exemple, alcool et GHB, ou alcool et héroïne – et nous avons besoin de plus de recherche sur la manière dont elles interagissent.
Enfin, les consommateurs sont loin d’être un groupe homogène : il y des schémas très différents d’usage qui peuvent avoir des profils très différents de dommages. Un modèle futur pourrait être capable de distinguer entre les différents moyens de consommation, entre les usages sous prescription et sans prescription, entre personnes addicts et non-addicts.
Nutt, D. (2020). Drugs without the hot air: Making sense of legal and illegal drugs. Bloomsbury Publishing. p. 52-53
Depuis 2010, quels changements grâce à ces études ?
Je ne vais pas tourner autour du pot, très clairement pas grand chose n’a changé, encore moins en France. Le plus gros changement concerne quasi-exclusivement le cannabis. L’Uruguay a légalisé l’usage récréatif en 2013, comme la Géorgie, l’Afrique du Sud et le Canada en 2018, le Mexique et Malte en 2021, la Thaïlande en 2022 et enfin le Luxembourg en 2023. Il est très difficile de dire si c’est grâce aux études MCDA, mais cela me paraît peu probable puisque le cannabis n’est jamais la drogue la moins nocive, et que tous ces pays n’ont pas du tout légalisé le moindre psychédélique, par exemple. D’autres pays l’ont décriminalisé ou tout du moins autorisé pour l’usage médical, mais l’accès reste très compliqué et souvent soumis à des amendes et à des injonctions de soin.
Cependant, des études cherchant à classer les drogues par leurs conséquences ont continué d’être menées par diverses équipes de chercheurs dans différents pays.
Europe
En 2015, c’est à l’échelle européenne qu’a été conduite une étude sur les dommages liés aux drogues5. Et nous pouvons y voir dans le premier tableau le détail des poids de chaque critère, comparé à l’étude de 2010 au Royaume-Uni.
Une équipe de 40 experts européens (de 21 pays différents) a du se concerter afin d’appliquer une valeur à chaque critère. Tous devaient avoir une grande expertise du sujet des drogues : épidémiologistes, toxicologues, travailleurs dans le soin en addictologie, hauts fonctionnaires responsables de politiques publiques…
Après de longs débats, tous se sont mis d’accord sur des valeurs ce qui a permis de calculer les scores de chacune des drogues retenues.
On peut déjà remarquer que le crack et la cocaïne sont séparés, ce qui paraît logique puisque le mode de consommation (sniff, injection, inhalation, gobage…) a un impact sur l’addictivité, la durée et les dosages nécessaires, ce qui implique des conséquences différentes en matière de santé publique. Le crack étant la version “fumable” de la cocaïne, celui-ci est plus addictif et transite plus rapidement dans l’organisme (plus de détails ici).
La kétamine quant à elle est passée devant les benzodiazépines par rapport à 2010.
Il faut tout de même garder en tête que c’est à une échelle européenne qu’est calculé ce classement et que chaque pays peut avoir ses particularités sociologiques sur les explications de pourquoi qui consomme quoi et comment. Seulement, les recherches concernant les dommages liés aux drogues surreprésentent des drogues aux dommages tout relatifs, tandis que l’alcool manque cruellement de recherche à l’échelle européenne6.
Quoi qu’il en soit, une constante se dessine et les drogues n’ont que très peu voir pas du tout bougé dans le classement. On pourrait dire que puisque les chercheurs sont pour certains les mêmes que 5 ans auparavant, il peut y avoir une forme de biais qui pousse à convaincre que ce classement là est le meilleur etc, c’est pourquoi il est intéressant de voir dans d’autres pays avec des chercheurs différents ce qu’il en est. Et, par chance, il y a effectivement eu d’autres classements effectués !
Australie
En 2019, c’est l’Australie7 qui sort son propre classement, avec la même méthodologie que les études cités précédemment.
Nous pouvons constater une similitude frappante avec les autres classements. A ceci près que la cocaïne est considérée comme beaucoup moins nocive en Australie, du fait qu’on y trouve assez peu de crack et que ce sont plutôt des catégories socio-professionnelles aisées qui ont le plus accès à elle. Cependant, c’est la méthamphétamine qui est plus répandue et qui monte donc dans le classement. Et enfin, une fois de plus, l’alcool est la drogue la plus nocive que l’on puisse trouver.
Allemagne
En Allemagne, en 2020, un classement quelque peu différent a été établi8. Le papier publié nous permet de comparer aux résultats européens en 2015.
Nous retrouvons toujours les mêmes drogues dans le top 5, les psychédéliques sont toujours assez bas, et curieusement la nicotine est considérée comme bien moins nocive du côté allemand. Ils expliquent cela par le fait que des lois anti-tabac ont été passées et que durant dix ans elles ont été appliquées rigoureusement (interdiction de fumer dans les lieux publics, les restaurants, bars, etc). De plus ils mettent en avant le fait que le tabac n’impacte pas la santé mentale comme d’autres drogues, ce qui laisse penser que pour les allemands les effets sur la santé mentale sont potentiellement considérés comme plus importants à prendre en compte que pour d’autres pays. Mais de manière globale, la conclusion est la même qu’à chaque fois : la législation en vigueur est un non-sens d’un point de vue pragmatique.
Colombie
En 2021, un papier colombien (pas encore revu par les pairs)9 se prête à l’exercice du MCDA. Ils n’ont pas fait de jolies courbes mais nous avons tout de même des résultats clairs et ordonnés.
Le basuco est un sous-produit et un résidu de la production de cocaïne10. Une fois le produit pur récupéré par les producteurs, il reste de la matière qui n’est pas à la base prévue pour être consommée qui est appelée basuco.
Cette étude concerne uniquement la région d’Antioquia, ce qui peut expliquer pourquoi les avis d’experts sont si différents. Il n’est pas absurde d’imaginer que différentes régions dans un même pays aient des particularités sur la consommation de drogues, encore plus entre différentes régions du monde. Pour autant, nous retrouvons à peu près toujours les mêmes différences entre drogues, à ceci près que le tabac semble très peu problématique, bien moins que le cannabis et même le LSD ! N’oublions pas la part de subjectivité dans cette méthode et l’histoire particulière de la drogue en Colombie.
Nouvelle-Zélande
Pour finir, la dernière étude en date nous vient de Nouvelle-Zélande11, avec 23 drogues classées selon 17 critères parfois revisités pour des raisons culturelles, notamment du fait de la population Maori. Ils ont fait un classement pour la population générale et un classement pour les jeunes consommateurs (de 12 à 17 ans).
Lorsque l’on considère la contribution des critères de préjudice individuels aux scores globaux de préjudice, des différences ont été observées entre la population totale et les jeunes. Par exemple, les adversités familiales contribuent davantage aux dommages pour la population totale, et les dommages liés à la drogue ont tendance à représenter plus de dommages chez les jeunes (par exemple, activité sexuelle non désirée, accidents pour la personne qui consomme la drogue). Le cannabis a été évalué comme étant plus nocif pour les jeunes, se classant au sixième rang pour les jeunes, contre le neuvième pour l’ensemble de la population. Les notes attribuées par les jeunes au cannabis étaient plus élevées dans la catégorie plus large des méfaits pour soi, avec des contributions plus importantes de critères tels que l’altération des fonctions et la mortalité liée à la drogue (par exemple, en raison des résultats des accidents de la route liés au cannabis où l’altération des fonctions est un facteur contributif ou causal, et de la pondération plus élevée de la mortalité liée à la drogue chez les jeunes). En revanche, le tabac a été moins bien classé chez les jeunes que dans l’ensemble de la population, en grande partie parce que le panel de jeunes n’a pas pris en compte les effets néfastes accumulés au cours de la vie. Les solvants et les carburants ont également été classés beaucoup plus haut dans la MCDA des jeunes, et ce classement était particulièrement élevé si l’on considérait uniquement les dommages subis par les jeunes qui utilisent ces substances. À l’instar des classements des méfaits pour l’ensemble de la population, les groupes d’opioïdes sont pour la plupart regroupés dans les classements spécifiques aux jeunes. Cependant, bien que de nombreuses catégories de substances occupent une position similaire dans les classements pour les jeunes et pour la population globale, pour les jeunes, les différences de points entre la drogue classée comme la plus nocive (l’alcool) et les huit drogues suivantes les plus nocives sont bien moindres. Enfin, bien que les classements des END (electronic nicotinic devices) et des vapes soient encore relativement bas dans les ateliers destinés aux jeunes, ils ont été jugés plus élevés dans cette population en raison des habitudes d’utilisation intensive des individus et de l’impact d’une forte exposition à la nicotine.
Crossin, R., Cleland, L., Wilkins, C., Rychert, M., Adamson, S., Potiki, T., … & Boden, J. (2023). The New Zealand drug harms ranking study: A multi-criteria decision analysis. Journal of Psychopharmacology, 02698811231182012.
Que peut-on retenir de la dangerosité des drogues ?
A priori, on retrouve des tendances partout où les études sont faites. L’alcool est toujours dans le top des drogues dangereuses, les psychédéliques toujours dans les moins dangereuses, et en ce qui concerne les stimulants cela varie en fonction du contexte de consommation dans la société, mais la méthamphétamine et le crack semblent avoir une nocivité globalement élevée.
Pour rapporter cela à l’individu qui se demanderait ce qu’il peut consommer sans trop de risque, il est toujours nécessaire de se connaître soi et d’avoir un bon set & settings ainsi que les moyens de tester la fiabilité du produit. Allez sur drugz pour creuser ça si vous êtes curieux.
Pour continuer, on peut se demander si toutes ces études nous permettent d’envisager une quelconque forme de légalisation, et si oui avec quelles drogues.
Légaliser, pourquoi pas, mais comment ?
Il est important de mettre en avant le fait que bien qu’une substance se trouve tout en bas de l’échelle de nocivité, elle n’est pas pour autant sans aucun risque, cela reste des comparaisons entre drogues et c’est basé sur une vision du risque et du danger qui peut changer avec le temps. Mais du coup, si l’on veut légaliser, comment faire ?
Si l’on reprend la logique de David Nutt sur l’équitation au Royaume-Uni, nous avons deux possibilités. Appliquer la logique prohibitionniste officielle (tout ce qui est dangereux pour la santé doit être banni), c’est-à-dire interdire l’équitation et tout ce qui est plus dangereux que les drogues déjà interdites ; ou bien reconsidérer notre rapport au danger, au risque, et au droit à disposer de son corps, pour faire du sport comme pour consommer des drogues.
Pourquoi serait-il plus acceptable de faire un sport, extrême ou pas, et de risquer de se blesser, de mourir, et d’être un coût pour la société ainsi qu’une peine pour sa famille, tandis que consommer une drogue ne serait pas acceptable alors que nous pouvons aisément trouver un grand nombre de drogues moins dangereuses que de nombreux sports aujourd’hui acclamés ? Nous pourrions sans doute produire une étude qui ne se contenterait pas de classer des drogues, mais qui aurait justement bien plus de comportements à risque et nous aurions une vue d’ensemble bien dérangeante.
D’après une étude de Santé Publique France12 en 2017-2018, il y aurait eu 810 décès suite à une pratique sportive. Et nous avons le détail :
- Sports de montagne : 303
- Sports aquatiques : 188
- Air moteur : 97
- Sports mécaniques : 71
- Autres : 64
- Air sans moteur : 53
- Chasse : 34
Si je dois comparer aux décès liés aux drogues (chiffres de 2015 pour le tabac et l’alcool, chiffres de 2019 pour les autres), cela donnerait ceci :
- Tabac : 75 320
- Alcool : 41 000
- Méthadone : 178
- Héroïne : 114
- Cocaïne : 110
- Autres opioïdes : environ 50
- Buprénorphine : 46
- Cannabis : 33
- Amphétamines : environ 30
Les autres drogues illicites ne tuent virtuellement pas, sauf cas rares mais difficilement quantifiables. Si on prend uniquement les chiffres liés aux décès, il devient clair que soit il faut interdire tous les sports, soit il faut arrêter de s’entêter dans cette répression illogique. Certains voudront rétorquer “oui mais les chiffres de l’addiction ? et les troubles psys ?” et je répondrai “d’accord, mais alors il faut compter les blessures liées au sport, les invalidités permanentes, les troubles psys comme la dépression et les phobies”, bref, c’est tout pareil d’un côté comme de l’autre, c’est exactement le même sujet : disposer de son propre corps et avoir le droit de prendre des risques, même si c’est pour le fun et que ce n’est pas “vital”.
Vous comprenez là que nous ne sommes pas dans un débat centré sur les faits, la science et les preuves lorsqu’il s’agit de drogue. La politique actuelle visant à prohiber est une position idéologique, aux fondements religieux (et racistes comme on peut le lire dans l’article sur ce qu’il est bon de savoir sur les drogues). Mais puisque les arguments que l’on retrouve le plus souvent sont que “les drogues sont dangereuses”, “elles détruisent des vies et des familles”, “ça rend con”, “ça ramollit le cerveau”, et tout un tas d’autres inepties, alors il nous est possible de répondre justement avec les études MCDA et les études portant sur la toxicologie, la pharmacologie, l’épidémiologie, la criminologie, la sociologie des drogues. Et la réponse est que… ça dépend des drogues et de leurs contextes d’usages, mais globalement le discours des médias et des fervents anti-drogue est bien plusieurs crans au-dessus de la réalité (et parfois même considèrent-ils que l’alcool et le tabac ne sont pas des drogues et qu’il est donc hors de question de les comparer aux autres substances psychoactives).
Cela dit, il est important de considérer qu’il n’y a pas une unique manière de légaliser quelque chose. Dans certains pays le cannabis est légal de manière récréative et médicale, mais le processus pour y accéder est plus ou moins facile, plus ou moins coûteux, plus ou moins régulé par l’état, etc. Légaliser ne veut pas dire que l’on doit pouvoir acheter du crack en même temps que l’on va chercher nos légumes au magasin, loin de là. Mais du coup, comment décider de la meilleure approche ?
Nous avons des exemples concrets comme l’Uruguay, le Mexique ou encore le Luxembourg, mais cela concerne uniquement le cannabis. Le seul état ayant potentiellement pris en considération les études semble être le Colorado, mais finalement y est uniquement légalisé ce qui est “naturel” : mescaline, ibogaine, psilocybine… Et le LSD reste interdit et criminalisé. Cela ressemble donc plus à une mesure teintée d’appel à la nature qu’une réelle décision fondée sur la science actuelle.
Un modèle proposé de légalisation.
Certains scientifiques se sont risqués à l’exercice de proposer un modèle légal pour différentes drogues, comme la MDMA aux Pays-Bas13. En effet, dans ce pays l’interdiction de la MDMA favorise grandement depuis 20 ans le crime organisé qui s’en sert afin de gagner des sommes d’argent importantes, tout en rejetant des produits chimiques sans la moindre considération pour l’environnement. Cette situation a mené certains politiciens à considérer le changement de la législation autour de cette drogue en particulier, et l’équipe de Jan van Amsterdam s’est attelé à produire des propositions basées sur des faits scientifiques et des avis d’experts.
Le principe de cette étude est le même que les précédentes, établir des critères, leur donner une valeur, et calculer les décisions les plus pertinentes au regard des volontés politiques officielles et des considérations pour la santé publique et l’environnement. Bref, peser les pours et les contres afin de prendre la meilleure décision possible.
Seulement, cette fois ce n’est pas une MCDA, mais une MD-MCDA, c’est-à-dire une analyse décisionnelle multi-critères et multi-décisions, puisqu’une politique publique n’est jamais une mesure unique mais un ensemble de mesures cherchant à œuvrer dans un même sens avec le maximum de cohérence (enfin, en principe). La méthode est inspirée d’une étude de 2018 cherchant à définir une meilleure politique pour la régulation de l’alcool et du cannabis14.
Je vais développer chacune des étapes nécessaires au développement d’une proposition de régulation de la MDMA dans cette étude.
- Etape 1 : 18 experts ont été invité à participer à l’élaboration de cette étude avec l’équipe de chercheurs à l’origine de cette démarche scientifique. Le principe était que chaque expert devait avoir une expertise spécifique et être indépendant. Les disciplines représentées sont les suivantes : pharmacologie, toxicologie, pharmacie, philosophie, ethique, anthropologie, lutte anti-drogue, épidémiologie, neurobiologie, médecine, philosophie de la loi, criminologie, droit, politiques sur les drogues (nationale et internationale), prévention, sciences comportementales.
- Etape 2 : Définition des outils de la politique et des conséquences associées. D’abord, les experts ont sélectionné 25 critères de conséquences (prévalence de la consommation, dommages sociaux et sanitaires, poids du crime, coûts du crime, stigmatisation…) Ensuite, les experts ont formulé 22 outils ayant chacun entre 2 et 7 options différentes, ce qui donne finalement 95 options d’outils (tableau ci-dessous)
- Etape 3 : Définition de cinq modèles politiques différents. Un modèle de politique est défini comme un ensemble de choix distincts pour chacun des 22 outils de politique, et l’objectif du processus MD-MCDA est d’identifier le modèle de politique qui obtient le score global pondéré le plus élevé sur les résultats de la politique : le modèle optimal. Pour comparer ce modèle optimal à d’autres propositions politiques communément référencées, ils ont également défini quatre modèles de politique en matière de drogues en déterminant comment ils seraient définis en fonction de leurs 22 instruments. Ces modèles de comparaison étaient (a) le modèle du coffee-shop, (b) le modèle du coffee-shop adapté, (c) le marché libre et (d) le modèle répressif. Après la notation de toutes les options politiques et des facteurs de pondération (voir ci-dessous), le modèle politique optimal a été automatiquement généré en combinant les 22 options les mieux notées par instrument politique. De la même manière, le modèle politique le plus mauvais a été assemblé en combinant les 22 options les moins bien notées.
- Etape 4 : Évaluation des effets des options d’instruments politiques. Sur la base de leur propre expertise, les experts sélectionnés ont évalué l’effet des options d’instruments politiques sur les critères de résultats. En outre, les experts ont partagé leurs informations avec les autres membres du panel et ont reçu un document complet sur l’état de l’art, couvrant la littérature publiée et grise sur les 25 conséquences liés à l’ecstasy. Chacun des 22 instruments politiques comporte plusieurs options possibles, ce qui donne 95 options d’instruments politiques, chacune pouvant avoir un impact différent sur chacun des 25 résultats politiques. Avant de noter les 95 options d’instruments politiques, les experts ont fixé des valeurs d’ancrage consensuelles pour chacun des 25 résultats, qui représentent l’impact négatif et positif maximal estimé qu’un instrument politique spécifique peut avoir sur le résultat. Après l’échange d’arguments et de nouvelles informations, un consensus sur les notes est généralement atteint. Si ce n’est pas le cas, la moyenne des notes individuelles a été fixée comme note finale. Après chaque séance de notation, les membres du groupe ont été invités à évaluer leur confiance dans l’ensemble des notes qui venaient d’être attribuées sur une échelle de 0 à 100. Enfin, les experts ont eu l’occasion, lors de séances plénières, de remettre en question et d’ajuster les notes obtenues à la fin de la journée.
- Etape 5 et 6 : Facteurs de pondération et notes finales. Selon la méthode MC-MCDA, chaque critère de résultat au sein de la grappe de résultats et des six grappes de résultats doit être pesé les uns par rapport aux autres pour tenir compte de son impact relatif sur la note globale (finale) des modèles de politiques en tant que tels, ainsi que pour tenir compte des grappes comportant relativement beaucoup de résultats.
Quels résultats ont été obtenus suite à tous ces calculs et ces débats sur les valeurs de chaque critère et de chaque conséquence envisageable ? Un modèle optimal a été généré, le voici :
Et si l’on compare aux autres modèles générés, cela donne ceci :
On pourrait se dire : “chouette, des flics et des scientifiques se sont mis d’accord et ça nous a pondu un modèle optimal, appliquons-le et tout le monde sera content !” Cependant, la réalité est qu’il n’est pas si simple d’appliquer une politique publique générée de cette manière et qu’il a fallu quelques ajustements pour rendre le projet plus réaliste.
Pour tenir compte à la fois de la faisabilité politique et de l’acceptation sociale de la vente réglementée d’ecstasy, le modèle optimal a été légèrement ajusté sur six points mineurs pour construire un nouveau modèle, presque optimal et politiquement plus faisable : le modèle X-shop. Parmi les six ajustements, le changement de l’option de possession de “tolérer la quantité de l’utilisateur” à “la quantité de l’utilisateur est légale et une grande quantité est tolérée” et l’option de publicité de “autorisé” à “interdit” ont eu l’impact négatif le plus important sur le score global par rapport au modèle optimal (diminution du score global de 148 et 203 points, respectivement).
Les quatre autres ajustements, tels que l’option “vente aux utilisateurs”, qui passe de “réglementée” à “régime de législation pharmaceutique”, et l’option “gouvernement responsable de la politique de prévention”, qui passe de “national/régional” à “tous les organes gouvernementaux”, ont eu des effets beaucoup moins importants sur le score global du modèle optimal.
Nous avons là une preuve frappante que la démocratie, le débat, la rationalité et les connaissances scientifiques d’objets spécifiques permettent de mettre sur pied des méthodes de prise de décision superbes pour organiser la société.
Je vais conclure ici en partageant la discussion de l’article :
La MD-MCDA actuelle, basée sur l’évaluation par des experts de 95 options politiques sur 25 résultats politiques, a conduit au développement et à la description d’un modèle optimal avec le meilleur résultat global comme base d’une nouvelle politique de la MDMA basée sur la science aux Pays-Bas. Le modèle optimal propose de réglementer la vente de MDMA et prévoit une diminution des effets nocifs sur la santé, de la criminalité organisée liée à la MDMA et des dommages environnementaux, ainsi qu’une augmentation des recettes de l’État, de la qualité des produits à base de MDMA et de l’information des utilisateurs. Le modèle optimal a ensuite été légèrement modifié pour devenir le modèle X-shop – un modèle considéré comme politiquement plus réalisable et qui devrait entraîner des avantages sanitaires et sociaux, même si la prévalence de l’usage augmente légèrement. On peut supposer que la santé des usagers est améliorée par l’obligation légale de formuler des exigences légales pour la vente d’ecstasy, de surveiller et de contrôler la qualité des pilules d’ecstasy. Un autre élément important du modèle optimal est la forte diminution du niveau de criminalité organisée liée à la MDMA. Ce dernier point est crucial pour obtenir le soutien sociétal et politique des partis politiques dits “de la loi et de l’ordre” qui accordent une grande importance à la réduction de la criminalité, en particulier la criminalité liée à la production et à la consommation d’ecstasy aux Pays-Bas. En outre, le modèle X-shop proposé offre – sur la base des notes attribuées dans l’évaluation – une meilleure protection des usagers vulnérables, même si l’incrimination des usagers augmentera légèrement en raison d’une réglementation plus stricte dans le cadre du régime optimal. Selon le modèle X-shop proposé, la prévalence de la consommation d’ecstasy augmentera légèrement en raison de la plus grande disponibilité et de la légitimation gouvernementale implicite de la consommation d’ecstasy. D’un autre côté, de meilleures règles en matière de qualité des pilules et une meilleure éducation à la santé contrebalanceront, selon nous, la légère augmentation de la consommation d’ecstasy et conduiront à un usage plus sûr de l’ecstasy avec une réduction globale des effets néfastes sur la santé. En outre, les sept critères de résultats du groupe “santé des usagers” indiquent collectivement une amélioration profonde des avantages et des risques pour les usagers par rapport à la situation actuelle. Malgré une légère augmentation de la prévalence de l’usage, on ne s’attend pas à une augmentation du niveau de dépendance à l’ecstasy, principalement en raison du faible potentiel de dépendance de l’ecstasy. Un avantage spécifique de la vente réglementée d’ecstasy dans le modèle X-shop est la génération modeste de recettes publiques composées de la TVA, de l’impôt sur le revenu, des redevances des détenteurs de licences et des droits d’accise. Les avantages financiers résultant d’une réduction des coûts des soins de santé, de la pollution de l’environnement et de la criminalité, y compris la diminution des dépenses liées à la lutte contre la drogue, sont toutefois plus importants.
Le modèle optimal inclut l’option inter se pour la modification des traités, comme le prévoit l’article 41 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969. La modification inter se est une procédure spécifiquement conçue pour trouver un équilibre entre la stabilité du régime des traités et la nécessité d’un changement en l’absence de consensus, par laquelle un groupe de deux ou plusieurs États partageant les mêmes idées pourraient conclure entre eux des accords autorisant la production, le commerce et la consommation de substances classifiées à des fins non médicales et non scientifiques, tout en minimisant l’impact sur d’autres États et sur les objectifs des conventions sur les drogues. À la suite de consultations et de négociations internationales dans le cadre de l’option inter se, les pays voisins peuvent mettre en œuvre une législation comparable. Les producteurs légaux aux Pays-Bas peuvent alors fournir des produits de MDMA de haute qualité aux consommateurs de ces pays (et vice versa). Plus il y a de pays qui adaptent une telle législation, plus la criminalité organisée liée à la MDMA est mise à l’écart. L’un des éléments proposés pour le modèle optimal est la confiscation plus efficace des biens et des fonds provenant de la production et du commerce illégaux de MDMA, y compris une meilleure coordination avec les partenaires étrangers. Un élément encore plus important de ce régime est la priorité donnée à la lutte contre la criminalité liée à la production et au commerce de MDMA. Toutefois, il n’entre pas dans le cadre de la présente enquête de décrire les initiatives visant à mettre en place des méthodes d’enquête plus efficaces et plus intelligentes dans le domaine de la lutte contre les stupéfiants. En outre, un certain nombre d’objectifs novateurs ont déjà été mentionnés par le ministre des Finances et le ministre de la Justice et de la Sécurité dans leur lettre au parlement néerlandais décrivant les premiers contours de la vaste offensive contre la criminalité organisée et subversive.
van Amsterdam, J., Peters, G. J. Y., Pennings, E., Blickman, T., Hollemans, K., Breeksema, J. J. J., … & van den Brink, W. (2021). Developing a new national MDMA policy: Results of a multi-decision multi-criterion decision analysis. Journal of Psychopharmacology, 35(5), 537-546.
Conclusion
Nous avons bien exploré les moyens dont on dispose pour définir la dangerosité d’une drogue et comment nous pourrions repenser le cadre légal de chacune d’entre elles. En effet, si nous voulons êtes parfaitement cohérents avec les données scientifiques, il est important de légiférer différemment (mais avec la même méthodologie et donc le même esprit) en fonction des particularités et spécificités de chaque drogue et/ou classe de drogues. Proposer un nouveau cadre légal est à la fois excitant et intimidant, puisque cela nécessite malgré tout de prendre un risque important du point de vue de la santé publique. N’oublions jamais que tous les modèles sont faux15, mais que certains sont utiles et meilleurs que d’autres. Les modèles proposés par les chercheurs néerlandais sont très prometteurs, plus que celui de la “war on drugs”, qui détruit des vie depuis des décennies si l’on part de Nixon, plus d’un siècle si l’on regarde plus loin dans l’histoire.
[1] : Nutt, D., King, L. A., Saulsbury, W., & Blakemore, C. (2007). Development of a rational scale to assess the harm of drugs of potential misuse. The Lancet, 369(9566), 1047–1053. doi:10.1016/s0140-6736(07)60464-4
[2] : Nutt, D. (2020). Drugs without the hot air: Making sense of legal and illegal drugs. Bloomsbury Publishing.
[3] : Nutt, D. J., King, L. A., & Phillips, L. D. (2010). Drug harms in the UK: a multicriteria decision analysis. The Lancet, 376(9752), 1558–1565. doi:10.1016/s0140-6736(10)61462-6
[4] : Van Amsterdam, J., Opperhuizen, A., Koeter, M., & Van den Brink, W. (2010). Ranking the harm of alcohol, tobacco and illicit drugs for the individual and the population. European addiction research, 16(4), 202-207.
[5] : Van Amsterdam, J., Nutt, D., Phillips, L., & van den Brink, W. (2015). European rating of drug harms. Journal of Psychopharmacology, 29(6), 655–660. doi:10.1177/0269881115581980
[6] : Pallari, E., Soukup, T., Kyriacou, A., & Lewison, G. (2020). Assessing the European impact of alcohol misuse and illicit drug dependence research: clinical practice guidelines and evidence-base policy. BMJ Ment Health, 23(2), 67-76.
[7] : Bonomo, Y., Norman, A., Biondo, S., Bruno, R., Daglish, M., Dawe, S., … Castle, D. (2019). The Australian drug harms ranking study. Journal of Psychopharmacology, 026988111984156. doi:10.1177/0269881119841569
[8] : Bonnet, U., Specka, M., Soyka, M., Alberti, T., Bender, S., Grigoleit, T., … & Scherbaum, N. (2020). Ranking the harm of psychoactive drugs including prescription analgesics to users and others–a perspective of german addiction medicine experts. Frontiers in psychiatry, 11, 592199.
[9] : CASTAÑO, G., GASCA, E. N. G., & SANDOVAL, J. D. J. (2022). Harm Estimation from psychoactive drug use under MCDA principles and community perceptions in Colombia, 2021
[10] : Daniels, J. P. (2015). Bogotá tackles basuco addiction. The Lancet, 386(9998), 1027-1028.
[11] : Crossin, R., Cleland, L., Wilkins, C., Rychert, M., Adamson, S., Potiki, T., … & Boden, J. (2023). The New Zealand drug harms ranking study: A multi-criteria decision analysis. Journal of Psychopharmacology, 02698811231182012.
[12] : Pédrono G., Thélot B., Beltzer N., Décès traumatiques en pratique sportive en France Métropolitaine en 2017 et 2018. Résultats d’un recueil de données à partir des médias accessibles sur internet. Saint-Maurice : Santé publique France, 2020, 70 pages.
[13] : van Amsterdam, J., Peters, G. J. Y., Pennings, E., Blickman, T., Hollemans, K., Breeksema, J. J. J., … & van den Brink, W. (2021). Developing a new national MDMA policy: Results of a multi-decision multi-criterion decision analysis. Journal of Psychopharmacology, 35(5), 537-546.
[14] : Rogeberg O, Bergsvik D, Phillips LD, et al. (2018) A new approach to formulating and appraising drug policy: a multi-criterion decision analysis applied to alcohol and cannabis regulation. Int J Drug Policy 56: 144–152.
[15] : Box, G. E. (1976). Science and statistics. Journal of the American Statistical Association, 71(356), 791-799.