I. Tabac et alcool.
Que pouvons nous constater des dégâts et potentiels bienfaits procurés par le tabac et l’alcool ? Il me semble judicieux de placer ces deux substances dans une partie à part puisque leur impact sociétal sur la mortalité est important (plus d’un cinquième des morts totales en France). Elles sont légales, largement acceptées culturellement et mises en avant notamment dans les créations audiovisuelles. Que pouvons nous en penser au regard des statistiques et de l’état de l’art quant à leur mécanisme pharmacologique et neurobiologique ?
Tabac.
France Info a publié un article, la loi Evin a 30 ans : retour sur la politique de lutte contre le tabac en France en quatre actes, qui permet d’avoir une idée de l’évolution du regard porté sur le tabac par la société. Cela permet de remettre certaines choses en perspective et de voir que l’on vient de loin sur cette affaire. On ne peut qu’imaginer les dégâts que cela aurait causé de ne pas restreindre la publicité et la consommation dans l’espace publique, ne serait-ce qu’au niveau du tabagisme passif (une rapide recherche de “passive smoking” sur Google Scholar vous permettra de voir qu’il n’est pas vain de lutter contre celui-ci).
En 2015, 75 320 décès ont été estimés attribuables au tabagisme sur les 580 000 décès enregistrés en France métropolitaine la même année. Ces estimations se répartissaient entre 55 420 décès attribuables chez les hommes et 19 900 décès attribuables chez les femmes, ce qui représentait 19,3% et 6,9% respectivement de l’ensemble des décès. La cause de décès attribuables au tabagisme était un cancer pour 61,7% des personnes (hommes : 36 577, 66% ; femmes : 9 868, 49%), une maladie cardio-vasculaire pour 22,1% (hommes : 11 135, 20% ; femmes : 5 526, 28%) et une pathologie respiratoire pour 16,2% (hommes : 7 675, 14%, femmes : 4 492, 23%). Les nombres estimés des décès attribuables au tabagisme, détaillés par pathologie et par sexe, sont montrés sur les figures 1 et 2. Les fractions attribuables estimées pour chaque pathologie sont listées dans le tableau. Les évolutions entre 2000 et 2015 (figure 3) montrent une tendance décroissante des nombres de décès attribuables au tabagisme chez les hommes (-11% en 15 ans). À l’inverse, le nombre de décès attribuables chez les femmes a été multiplié par 2,5 sur la même période en passant de 8 027 décès en 2000 à 19 900 décès attribuables au tabagisme en 2015. Entre 2000 et 2015, la proportion de décès attribuables au tabagisme a ainsi augmenté en moyenne de 5,4% par an chez les femmes (intervalle de confiance à 95%, IC95%: [5,3-5,6]) contre une diminution de 1,1% chez les hommes (IC95%: [1,0-1,2]).
Bonaldi C, Boussac M, Nguyen-Thanh V. Estimation du nombre de décès attribuables au tabagisme, en France de 2000 à 2015. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(15):278-84. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2019/15/2019_14_2.html
Le tabac se place donc en première place en terme de mortalité, et il n’a pas à rougir non plus du point de vue de l’addiction. La nicotine, principal composant renforçateur de la fumée du tabac, agit dans le cerveau par l’intermédiaire des récepteurs nicotiniques neuronaux de l’acétylcholine (nAChR). Outre les propriétés de renforcement de la nicotine, ses effets sur l’appétit, l’attention et l’humeur contribueraient également à l’établissement et au maintien de l’habitude du tabagisme.
La cigarette électronique, la bonne voie pour quitter le tabac ?
Depuis quelques années, nous voyons émerger toutes sortes de cigarettes électroniques, parfois d’une absurdité déconcertante. Mais ont-elles globalement un intérêt, au moins d’un point de vue sanitaire ? Les données cliniques et épidémiologiques de qualité sur les effets du vapotage sur la santé sont relativement rares. Il n’existe pas de données sur les effets à long terme sur la santé, ce qui reflète la relative nouveauté du vapotage et l’évolution rapide des produits de vapotage. Il est difficile de déterminer les effets sur la santé, même à court terme, chez les adultes, car la plupart des vapoteurs adultes sont d’anciens ou d’actuels fumeurs.
Certaines études (comme une de 2019 et une de 2021) montrent que le vapotage peut aggraver l’asthme, la bronchite et la toux, y compris chez les jeunes non-fumeurs. En revanche, quelques études (en 2014 et en 2020) montrent que les fumeurs souffrant d’asthme ou de maladies pulmonaires obstructives chroniques voient leurs symptômes s’améliorer après être passés à l’e-cigarette. Des essais randomisés de passage de la cigarette à l’e-cigarette montrent une amélioration des symptômes respiratoires (études de 2016 et de 2020).
Il existe peu de preuves que les e-cigarettes présentent un risque significatif de cancer. Cependant, certaines études soulèvent des inquiétudes qui justifient un suivi à long terme des vapoteurs (études de 2017 et de 2019).
De nombreux scientifiques ont conclu que le vapotage est probablement beaucoup moins dangereux que le tabagisme pour les raisons suivantes :
- Le nombre de substances chimiques présentes dans la fumée de cigarette, plus de 7000, dépasse de 2 ordres de grandeur celui de l’aérosol de l’e-cigarette.
- Parmi les substances potentiellement toxiques communes aux deux produits, la fumée de cigarette contient généralement des quantités nettement plus importantes que l’aérosol d’e-cigarette (Plusieurs études l’indiquent : 2014 : 2016 ; 2020 ). Toutefois, l’aérosol d’e-cigarette contient certaines substances que l’on ne trouve pas dans la fumée de cigarette.
- Les biomarqueurs reflétant l’exposition à des substances toxiques sont présents à des niveaux beaucoup plus élevés chez les fumeurs exclusifs de cigarettes que chez les vapoteurs exclusifs, et les études sur les fumeurs qui passent à l’e-cigarette constatent une diminution de l’exposition aux substances toxiques. (Groupe contrôle sur 12 semaines ; réduction des biomarqueurs ; comparaison après passage à l’e-cigarette ; risque de cancer et exposition aux toxines ; exposition aux composés organiques volatils)
- Les tests de la fonction pulmonaire et vasculaire indiquent une amélioration chez les fumeurs de cigarettes qui passent à l’e-cigarette. Les utilisateurs exclusifs d’e-cigarettes (la plupart étant d’anciens fumeurs) signalent moins de symptômes respiratoires que les fumeurs de cigarettes et les double-utilisateurs.
Les recherches en cours permettront de mieux comprendre les dangers absolus et relatifs de ces produits.
Ressources pour aller plus loin sur le tabac et la nicotine :
Papiers scientifiques :
- Usage de tabac et de nicotine, revue de 2022
- Formes de nicotine : pourquoi et comment importent-elles dans l’administration de nicotine par les cigarettes électroniques ? 2020.
- Récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine et dépendance à la nicotine : Une brève introduction. 2020.
- Les avancées actuelles de la recherche en matière de traitement et de guérison : Dépendance à la nicotine. 2019.
Thèses :
Alcool.
L’alcool aussi est concerné par la loi Evin, mais de manière moins restrictive comme on peut le constater aux nombreux arrêts de bus arborant fièrement les publicités de 1664 ou d’Heineken. Il jouit encore d’une image très positive, où intérêts financiers et bêtise semblent se rencontrer pour une synergie malheureuse. Didier Guillaume, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation de 2018 à 2020, avait annoncé sans trembler des genoux que “le vin n’est pas un alcool comme un autre“. Pour lui le binge drinking est un problème, mais le vin n’aurait rien à voir avec ça. Les gens qui boivent du vin seraient-ils immunisés contre les maladies liées à l’alcool, aux accidents de la route et aux comas éthyliques parce qu’ils boivent moins vite ? Rien n’est moins sûr.
Sur un total de 580 000 décès en 2015, 41 000 étaient attribuables à l’alcool : 30 000 chez les hommes et 11 000 chez les femmes, ce qui représente respectivement 11% et 4% du total des décès des adultes de plus de 15 ans. Le tableau 3 présente, par sexe et pour chaque cause de décès, le nombre de décès observé en 2015, la fraction attribuable à l’alcool et le nombre de décès attribuables à l’alcool. Les impacts les plus larges de la consommation d’alcool sont observés pour les cancers, avec 16 000 décès attribuables, et les pathologies cardiovasculaires avec 9 900 décès attribuables. Si, pour les hommes, les cancers représentaient la première cause de décès attribuable à l’alcool avec plus de 12 000 décès, les pathologies cardiovasculaires étaient la première cause de décès attribuable à l’alcool chez les femmes avec 4 000 décès (vs 3 500 décès par cancer). La fraction attribuable à l’alcool est maximum dans la population des 35-64 ans (15%) et minimum (6%) dans celle des 65 ans et plus (tableau 4).
Bonaldi, C., & Hill, C. (2019). La mortalité attribuable à l’alcool en France en 2015. Bull épidémiol hebd, 56, 97-108. https://portaildocumentaire.santepubliquefrance.fr/exl-php/cadcgp.php
L’alcool, qu’il soit sous forme de bière, de vin ou de boissons plus fortes encore, comporte toujours les mêmes risques. Bien entendu il remplit beaucoup de fonctions que l’on recherche souvent pour de bonnes raisons : festivités, liens sociaux, recherche d’euphorie, etc… Mais il serait risqué de partir du principe que certains alcools sont plus sûr que d’autres. Ce sont les manière de consommer qui comptent, et sauf dans des cas particuliers (bière sans alcool ou absinthe), il n’y a pas beaucoup de sens à mettre de côté un alcool, comme le vin, pour chercher à faire croire qu’il serait factuellement moins nocif que les autres.
Que se passe-t-il dans notre corps lorsque l’on boit ?
Les deux neurotransmetteurs les plus communs dans le corps, et les plus puissants, sont le glutamate et l’acide gamma-aminobutirique (GABA). Le glutamate est l’accélérateur de l’activité cérébrale et le GABA est le frein. Ils permettent entre autre de bien dormir, de créer des souvenirs, de penser… Le glutamate, lorsqu’il est relaché dans les synapses, active le prochain neurone, tandis que le GABA produit l’inverse. Il est nécessaire d’avoir un équilibre entre les deux, puisque trop de glutamate signife une trop grande activité cérébrale (risque d’anxiété élevée, convulsions, dégâts au cerveau), tandis que trop de GABA peut signifier une dépression respiratoire, un black out…
La nature faisant bien les choses (parfois), l’équilibre se produit par lui-même, c’est-à-dire qu’à chaque fois que du glutamate se manifeste dans le cerveau, le GABA en fait autant. Bien sûr, la réalité est bien plus complexe, puisqu’il y a des molécules permettant de prendre le relai en cas de problème : pour augmenter l’activité cérébrale nous disposons d’acetylcholine, d’orexine, d’histamine et de noradrénaline ; pour diminuer l’activité cérébrale nous disposons d’adénosine, de sérotonine et d’endocannabinoïdes. Le corps humain est un joyeux bordel alors essayons de rester simples tout en ayant suffisamment d’informations pour comprendre ce qui nous arrive quand on boit.
La première chose que fait l’alcool dans notre corps est d’augmenter l’action du système gabaergique, ce qui nous permet de nous sentir relaxé. Cela explique d’ailleurs pourquoi des personnes naturellement anxieuse se tournent vers l’alcool (et bien entendu vers les anxiolytiques comme les benzodiazépines ayant la même action gabaergique). Et comme on l’a déjà souligné, trop de GABA (ici donc, trop d’alcool), favorise la perte de capacités cognitives, une possible perte de conscience…
Et si vous vous rappelez l’action du glutamate, vous comprendrez qu’il essaiera de s’équilibrer lui aussi. Ce qui mène à des problèmes lorsque le GABA redescend quelques temps après la consommation, puisque durant un certain temps le glutamate se retrouve en excès par rapport au GABA et nous met donc à risque sur le plan cérébral (dans les sevrages les plus compliqués on parle même de delirum tremens, qui peut s’avérer mortel). L’addiction s’installe d’ailleurs en grande partie afin d’éviter les symptômes de sevrage que sont les tremblements et l’anxiété anormale, puisque reboire permet de se rééquilibrer. Bref, il est facile d’installer un cercle vicieux avec l’alcool où l’on commence à boire pour des raisons diverses, pour continuer à boire pour éviter le sevrage.
Alcool, la vraie drogue du viol ?
Qui n’a jamais entendu que le GHB était la drogue du viol ? C’est un mythe fortement relayé dans les réseaux sociaux et dans les média, mais la drogue du viol, s’il doit y en avoir une, est bien l’alcool et le rappeler n’est pas toujours bien vu. Mais quoi de mieux que des légendes urbaines pour éviter à l’alcool d’attirer l’attention sur ses dégâts quotidiens chez les consommateurs ? Il est important de toujours user du principe de parcimonie. En l’absence de preuves pour soutenir des affirmations extraordinaires, toujours privilégier la théorie la plus plausible (quand ça a le goût de l’alcool, les effets de l’alcool, l’odeur de l’alcool, alors…).
Les substances mimant l’action gabaergique de l’alcool :
Ressources pour aller plus loin sur l’alcool :
Papiers scientifiques :
- Effet de la consommation d’alcool sur le cerveau et le comportement des adolescents. 2020.
- L’abus d’alcool et de drogues induit par la personnalité : Nouveaux mécanismes révélés. 2020.
- Troubles de l’usage d’alcool, 2019.
- Facteurs de rechute dans le trouble de l’usage d’alcool, 2019.
- Développer des traitements basés sur les neurosciences pour la dépendance à l’alcool : Une question de choix ? 2019.
Livres :