L’écoute désigne l’action de s’appliquer à entendre et prêter son attention à une parole ou un bruit. Plus spécifiquement, dans une dimension interactive, et éducative, cela signifie recevoir et accepter ce qu’autrui nous exprime, sans pour autant s’arrêter à cela. Dans un article1 de 2010, Sheila Shipley décline quatre caractéristiques importantes de l’écoute : l’empathie, le silence, l’attention portée à la communication verbale et non-verbale de l’autre, et enfin l’acceptation accompagnée du non-jugement. Ces caractéristiques définissent en partie si l’écoute est bénéfique, autant pour celui qui est écouté que pour celui qui écoute, que ce soit dans une dimension de soin ou éducative.
En effet, l’écoute peut être utilisée dans de nombreuses circonstances. La première étant la dynamique sociale de tout un chacun, dans laquelle l’écoute ouvre certaines perspectives étudiées par Graham Bodie, professeur de communication : traitements des informations sociales, acquisition du langage, efforts éthiques, expériences et interactions sociales2. La seconde, qui va plus nous intéresser et nous concerner, est l’écoute que l’on va adopter dans une perspective de soin mais surtout éducative, au travers d’un accompagnement. L’acquisition d’informations autour de la personne, la création d’une relation avec elle, l’apprentissage de sa singularité et l’évaluation de ce qu’elle nous apporte comme informations nécessite une écoute toute particulière3.
Dans un contexte médical, il a été observé que certaines compétences sont nécessaires afin d’adopter la meilleure écoute possible des patients4, comme le contact visuel, l’attention portée, la réduction des « barrières » entre le soignants et le soigné, la réduction des interruptions, la réponse portée sur le message et non sur la personne elle-même, le repérage des thèmes et idées de l’échange et enfin montrer que l’on a compris. L’écoute que l’on jugera alors empathique dispose d’une efficacité bien plus importante que l’écoute jugée sympathique. Le professionnel cherche alors à comprendre pleinement les expériences du patient et il communique cette compréhension5. En exerçant cette communication au travers de l’empathie que l’on porte à la personne, nous pouvons instaurer une relation éducative basée sur une confiance favorisant la réussite des objectifs consentis.
Antonio Lasalvia, chercheur en psychiatrie, a étudié la qualité de vie subjective des patients en psychiatrie. Une de ses études6 conclue ainsi : « Améliorer la qualité de vie des gens avec des troubles mentaux est une priorité dans le soin de ces personnes. Il est donc préconisé d’améliorer la communication entre les soignants et les usagers afin d’implémenter un modèle de partenariat entre eux, et ceci en favorisant l’écoute des besoins de ces personnes. » L’écoute dont il est question ici permet de repérer les besoins des personnes et de les satisfaire, voire de les anticiper, ceci afin d’améliorer la qualité de vie des personnes accompagnées. Une autre étude7 renforce les résultats de la précédente, en rajoutant cependant que l’écoute permet de combattre le stigma lié au handicap parce que celui qui écoute réellement se met au même niveau que celui qu’il écoute. L’étude montre alors les bienfaits de l’écoute, permettant aux patients de se sentir importants à nouveau. Il est aussi montré que le contact physique joue un rôle important dans la relation lors de l’écoute. Bien que délicat en psychiatrie, le contact physique permet de faire ressortir certaines émotions et de susciter des sentiments de solidarité et d’affinité. L’écoute permet alors de lutter contre l’incompréhension, la stigmatisation et la vulnérabilité.
Il est nécessaire ici de préciser que l’écoute n’est pas importante uniquement entre un soignant et un soigné. La famille du soigné ne doit pas être oubliée, humainement autant que dans l’intérêt du soigné. En effet, cette étude8 nous rappelle que l’action de la famille autour d’une personne prise en charge a un impact significatif sur sa santé et son bien-être ainsi que son rétablissement. Nous pouvons aisément transposer cela sur un accompagnement éducatif quel qu’il soit, où la présence et l’implication de la famille sera activement suscité. Cela permet alors de mener à bien un travail commun en lien avec la famille de la personne. La prise en compte de l’environnement est importante pour la solidité de la relation éducative, pour la compréhension du contexte et pour le respect du cadre.
« Une bonne écoute », lors d’une pratique clinique est la base du soin autour du patient, nous dit Ruth Hancock9, et l’approche du professionnel devrait être non prescriptive (encourager sans obliger), axée sur le partenariat (faire avec), avec un langage corporel ouvert à l’échange, dans l’acceptation de l’autre et empathique. De plus, afin de compléter un peu plus cette base de soin, cette étude10 met en évidence l’importance du temps accordé à l’échange. Cela révèle que plus l’échange dure longtemps, plus nous sommes amenés à recevoir des informations importantes et significatives pour l’accompagnement que l’on prodigue. La dimension émotionnelle est aussi importante dans l’écoute, Sandra van Dulmen nous le montre dans une étude11, puisque celle-ci aide à réduire le stress de la personne et favorise son expression. L’écoute permet aussi de faciliter la construction d’une certaine confiance et d’un lien durable. Elle permet alors d’améliorer la qualité de la relation tout en permettant l’accès aux informations importantes pour l’accompagnement. Elle rappelle alors qu’ « une personne, en plus d’être écoutée, a besoin d’yeux, d’un cœur, et d’une attention totale ».
Cela rejoint les conclusions de cette étude12, soulignant qu’une écoute empathique et une implication active et émotionnelle de celui qui écoute consistent à ressentir les besoins émotionnels du patient. Cela permet de traiter ce qui a été dit et de répondre en utilisant des réponses verbales et non-verbales afin de montrer l’attention active que nous exerçons. Il est maintenant opportun de faire le lien avec le concept d’écoute active via cette étude13. Développée par Thomas Gordon14, elle trouve ses origines dans les travaux de Carl Rogers15. L’écoute active consiste en une reformulation des propos, à poser des questions et enfin en un maintien d’une implication conversationnelle verbale autant que non-verbale. Ce style d’écoute produit chez les personnes écoutées un sentiment d’être mieux compris comparé à d’autres testés, comme le simple fait de donner des conseils ponctuels ou le fait de simplement acquiescer lorsque la personne parle. L’écoute active permet de mieux communiquer sa compréhension et l’intérêt que l’on porte à la personne écoutée. Cela permet de procurer un support social et c’est une compétence de conseiller car l’écoute active permet de montrer que l’on se préoccupe des sentiments et des pensées de la personne et qu’on les comprend. Olivier Roustant nous parle16 de trois attitudes pour obtenir un bon rapport avec l’autre : une considération positive inconditionnelle, une empathie, et une congruence. Ceci permettrait de mettre la personne écoutée dans une situation sécure et confortable psychologiquement.
L’écoute permet donc à l’éducateur de se positionner afin d’agir et surtout de savoir sur quoi agir afin de susciter l’intérêt et l’adhésion des personnes accompagnées. En effet, il est nécessaire pour l’éducateur de repérer les potentialités, les capacités et les compétences des personnes, ce qui ne peut se faire qu’au travers d’une écoute et d’une observation attentives de ce qui émane de la personne accompagnée. Il ne s’agit donc pas là de s’arrêter à la simple écoute active pour comprendre ce qui se joue dans une situation donnée, mais plutôt de savoir à quel niveau agir afin d’accompagner la personne dans son autonomisation, en prenant en compte toute la complexité de la situation.
Un modèle basé sur les travaux du philosophe et économiste indien Amartya Sen va nous permettre de mieux visualiser en quoi l’écoute active peut permettre à l’éducateur de repérer sur quoi agir. Ce modèle tiré d’un article17 sur l’approche par les capabilités permet de mettre en image la complexité de l’interaction entre un individu et la communauté, ainsi que sa propre évolution de son potentiel jusqu’à ses compétences en passant par ses capacités. On voit qu’il y a une boucle de rétroaction entre ce que fait l’individu et ce que fait la communauté, les deux se renforçant mutuellement.
L’éducateur s’inscrit dans ce qui est nommé « facteurs de conversion », puisque c’est ici que l’action est possible afin d’activer le potentiel de la personne accompagnée. Nous allons en suite accompagner dans la prise de décision et les choix faits par la personne afin qu’elle puisse accéder à des compétences et gagner en autonomie, toujours en fonction des objectifs visés et consentis. Il peut y avoir des retours en arrière comme il peut y avoir des moments où la personne, gagnant en autonomie, se passe de notre accompagnement. La boucle de rétroaction positive permet à la personne de venir vérifier qu’ayant accompli des choses, elle est capable de faire et gagne alors en potentiel et en ressources. L’éducateur a donc tout intérêt à suivre attentivement l’évolution afin de voir où en est la personne afin d’agir sur les points où il est nécessaire d’agir.
On voit bien grâce au modèle HURIER qu’il n’est pas aisé pour l’éducateur de prendre en compte tout ce qui se déroule devant ses yeux, et que l’écoute effectuée peut laisser passer un certain nombre d’informations, rajoutant de l’incertitude.
Le modèle de compréhension de discours d’Alan Ehrlich en est un autre exemple qui tente de montrer un peu plus à quel point il est complexe d’interagir et qu’une multitude d’éléments vient interférer dans notre compréhension de ce que la personne nous apporte comme informations.
Il est important de garder en tête que, comme le dit le statisticien George Box, tous les modèles sont faux. En effet, il n’existe aucun modèle retranscrivant parfaitement la complexité du monde réel. Pour autant, l’utilisation de ces modèles permet d’y voir plus clair dans toute cette complexité et d’avoir une vision plus précise sur l’objet que l’on étudie. La tentation de s’y limiter est cependant un sentiment à combattre puisque penser pouvoir se reposer sur un unique modèle pour représenter un phénomène nous amène inévitablement à une vision étriquée du monde.
En conclusion, la fonction d’écoute est une des bases de l’accompagnement et de la mise en place d’une relation éducative. Ecouter l’autre permet alors à celui-ci de s’exprimer et prononcer ce dont il a besoin, ce qu’il désire et ce qui lui déplaît ou le freine. La fonction d’écoute est essentielle à la relation éducative spécialisée, mais ne se suffit pas à elle-même.
[1] SHIPLEY S. D., “Listening: A Concept Analysis.” Nursing Forum, N°45, Vol 2, 2010, p. 125–134.
[2] BODIE G. D., WORTHINGTON D., IMPHOF M., & COOPER L. O., “What Would a Unified Field of Listening Look Like? A Proposal Linking Past Perspectives and Future Endeavors.” International Journal of Listening, N°22, Vol 2, 2008, p. 103–122.
[3] JANUSIK L., & IMHOF M. Intercultural Listening: Measuring Listening Concepts with the LCI-R. International Journal of Listening, N°31, Vol 2, 2016, p. 80–97.
[4] DAVIS J., THOMPSON C. R., FOLEY A., BOND C. D., & DEWITT J., “An Examination of Listening Concepts in the Healthcare Context: Differences Among Nurses, Physicians, and Administrators.” International Journal of Listening, N°22, Vol 2, 2008, p. 152–167.
[5] CHEN D. C. R., KIRSHENBAUM D. S., YAN J., KIRSHENBAUM E., & ASELTINE R. H., “Characterizing changes in student empathy throughout medical school.”, Medical Teacher, N°34, Vol 4, 2012, p. 305–311.
[6] LASALVIA A., BONETTO C., MALCHIODI F., SALVI G., PARABIAGHI A., TANSELLA M., & RUGGER M., “Listening to patients’ needs to improve their subjective quality of life.” Psychological Medicine, N°35, Vol 11, 2005, p. 1655.
[7] SHATTELL M. M., MCALLISTER S., HOGAN B., & THOMAS S. P., “She Took the Time to Make Sure She Understood”: Mental Health Patients’ Experiences of Being Understood. Archives of Psychiatric Nursing, N°20, Vol 5, 2006, p. 234–241.
[8] HAPPELL B., WILSON K., PLATANIA-PHUNG C., & STANTON R., “Physical health and mental illness: listening to the voice of carers.” Journal of Mental Health, N°26, Vol 2, 2016, p. 127–133.
[9] HANCOCK R. E. E., BONNER G., HOLLINGDALE R., & MADDEN A. M., “If you listen to me properly, I feel good”: a qualitative examination of patient experiences of dietetic consultations. Journal of Human Nutrition and Dietetics, N°25, Vol 3, 2012, p. 275–284.
[10] OUTRAM S., “The role of GPs in treating psychological distress: a study of midlife Australian women.”, Family Practice, N°21, Vol3, 2004, p. 276–281.
[11] VAN DULMEN S., “Listen: When words don’t come easy.” Patient Education and Counseling, N°100, Vol 11, 2017, p. 1975–1978.
[12] GEARHART C. C., DENHAM J. P., & BODIE G. D. “Listening as a Goal-Directed Activity.” Western Journal of Communication, N°78, Vol 5, 2014, p. 668–684.
[13] WEGER H., CASTEL BELL G., MINEI E. M., & ROBINSON M. C., “The Relative Effectiveness of Active Listening in Initial Interactions.” International Journal of Listening, N°28, Vol 1, 2014, p. 13–31.
[14] GORDON T, P.E.T.: Parent effectiveness training, NY: New American Library, New York, 1975.
[15] ROGER C. R. Client-centered therapy. MA: Houghton-Mifflin, Boston, 1951.
[16] ROUSTANT Olivier, « L’écoute active », Postures, techniques et outils au service de l’accompagnement de la personne, de la gestion de conflit et de la relation saine, https://www.ac-reunion.fr/fileadmin/ANNEXES-ACADEMIQUES/02-MISSIONS-ACADEMIQUES/mission-tutorat/livret-boi__te_a___outils_FO_E__coute_Active.pdf
[17] TRANI Jean-François et al., « Handicap au travers de l’approche par les capabilités : quelles implications pour les politiques publiques ? », Alter, 2011, vol. 5, no 3, p. 143-157.