L’environnement à risque intersectionnel des personnes qui consomment des drogues, 2019

Collins, A. B., Boyd, J., Cooper, H. L. F., & McNeil, R. (2019). The intersectional risk environment of people who use drugs. Social Science & Medicine, 112384. doi:10.1016/j.socscimed.2019.112384

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Points intéressants

  • Présente un cadre conceptuel pour l’examen des résultats différentiels en matière de santé.
  • Décrit comment les risques à plusieurs niveaux et les situations sociales convergent pour façonner la santé.
  • Cette approche permet de mieux rendre compte de la complexité entre les groupes et à l’intérieur de ceux-ci.
  • Ce cadre permet d’éclairer la recherche et les initiatives visant à remédier aux inégalités en matière de santé.

Abstract

Les modèles conceptuels actuels permettant d’examiner la production de risques et de dommages (par exemple, les syndromes, l'”environnement de risque”) dans la recherche sur la consommation de substances ont joué un rôle fondamental en mettant l’accent sur les facteurs environnementaux plus larges qui façonnent les résultats en matière de santé pour les personnes qui consomment des drogues (PWUD). Toutefois, l’application de ces cadres de manière à mettre en évidence les nuances et la complexité est restée difficile, une grande partie de cette recherche se concentrant sur des positions sociales sélectionnées (par exemple, la race, le genre) et des facteurs socio-structurels (par exemple, la pauvreté, les politiques en matière de drogues). Il est essentiel de mieux prendre en compte ces relations dans le contexte de la recherche sur la consommation de substances afin d’améliorer l’équité dans la recherche et d’assurer la compréhension de besoins divers et complexes. S’appuyant sur le cadre de l’environnement de risque et sur des approches complémentaires, cet article présente l'”environnement de risque intersectionnel” comme une approche permettant de comprendre les façons interconnectées dont les lieux sociaux convergent dans l’environnement de risque pour produire ou atténuer les résultats liés à la drogue. Ce cadre intègre une perspective intersectionnelle relationnelle pour examiner comment les résultats différentiels parmi les populations de PWUD sont produits en relation avec l’emplacement social et les processus opérant à travers les dimensions socio-structurelles. Ce faisant, l’environnement de risque intersectionnel met en évidence la manière dont les résultats sont le produit de processus et de relations qui s’incarnent, se reflètent et sont remis en question lorsqu’ils sont situés dans des contextes sociaux, historiques et géographiques. L’intégration de ce cadre dans les recherches futures pourrait améliorer la compréhension des résultats en matière de santé pour les PWUD et mieux orienter les interventions structurelles et les approches de santé publique pour traiter les risques et les expériences différentielles des PWUD.

1. Introduction

Les relations dynamiques entre les individus, leur environnement et la santé ont été bien établies, les approches écologiques de la santé publique attirant l’attention sur la manière dont les environnements sociaux, structurels et physiques façonnent la répartition des maladies et les inégalités en matière de santé (Krieger, 2001 ; Rhodes et al., 2005 ; Singer, 1996). Les transitions dans la manière dont la production du risque et la distribution de la maladie ont été conceptualisées ont émergé organiquement de la recherche menée avec les populations qui consomment des drogues, en particulier en ce qui concerne le risque lié au VIH (Rhodes et al., 2005 ; Singer, 1996 ; Strathdee et al., 2010). Ces travaux ont montré comment les conditions socio-structurelles (par exemple les institutions sociales, politiques et économiques) de l’environnement des individus produisent ou atténuent les dommages, en notant que ces éléments n’étaient pas pris en compte par les approches de santé publique qui avaient mis l’accent sur le changement de comportement axé sur l’individu (Rhodes, 2002 ; Strathdee et al., 2010). Ces cadres ont donc mis en évidence la nécessité d’interventions ciblant à la fois les comportements individuels et les facteurs structurels pour mieux lutter contre les inégalités sociales et sanitaires (Blankenship et al., 2006 ; Des Jarlais, 2000).

En réponse aux critiques constantes des interventions centrées sur l’individu, la recherche sur la consommation de substances s’est de plus en plus concentrée sur le besoin critique de mettre en œuvre des interventions portant sur les facteurs environnementaux des lieux de consommation de drogues (par exemple, les sites d’injection supervisés, les modèles de logement pour la réduction des risques) (Blankenship et al., 2006 ; Rhodes, 2002 ; Singer et Clair, 2003). Les “interventions pour un environnement plus sûr” – des interventions de santé publique en phase avec les inégalités socio-structurelles croisées des personnes qui consomment des drogues (PWUD) (McNeil et Small, 2014 ; Rhodes et al., 2005) – se sont ensuite concentrées sur des facteurs incluant les environnements sociaux et physiques dans lesquels la consommation de drogues a lieu (par exemple, l’échange de seringues, les sites de consommation) (Kerr et al…, 2007), la fourniture d’un accès légal au matériel lié à l’injection (par exemple, seringues, cuiseurs) (Bluthenthal et al., 1999), et le renforcement de la connexion aux services de santé et aux services auxiliaires par le biais de modèles à bas seuil (par exemple, services alimentaires, hébergement, soins médicaux) afin de mieux prendre en compte les facteurs qui façonnent les résultats en matière de santé et de drogues (Collins et al., 2017). Des recherches antérieures ont examiné le rôle des contextes historiques et des lieux sociaux, notamment le genre par rapport aux environnements à risque (Bourgois et al., 2004 ; Measham, 2002), la race (Maher, 2004) et le statut socio-économique (Moore, 2004), dans l’élaboration des résultats en matière de santé et de drogue.

Plus récemment, des approches offrant une manière plus ontologique de penser les résultats liés à la drogue ont été mises en œuvre dans le cadre de la recherche sur les addictions afin d’examiner les aspects relationnels et matériels de la consommation de drogues (par exemple Duff, 2010, 2013 ; Fraser, 2013 ; Fraser et al., 2014 ; Ivsins et Marsh, 2018 ; Vitellone, 2017). Ces travaux se sont concentrés sur les processus, les relations et les actions qui se produisent entre les lieux, les technologies, les matériaux et les sujets, et qui donnent naissance à ces éléments (Duff, 2014 ; Rhodes, 2018), et peuvent être considérés comme distincts d’autres approches socio-écologiques. Il est important de noter que les approches relationnelles-matérielles et écologiques ont profondément contribué à la manière dont les résultats liés à la drogue sont conceptualisés et traités, les approches plus récentes axées sur l’ontologie pouvant mettre l’accent sur les dynamiques relationnelles au sein de l’intersectionnalité. Toutefois, l’application de ces modèles dans toutes les disciplines et de manière à mettre en évidence les nuances et la complexité reste un défi. En particulier, de nombreuses recherches reprenant les approches de l’environnement de risque écologique se sont concentrées sur une seule position sociale (par exemple, la race, le genre) et sur des facteurs socio-structurels (par exemple, les politiques en matière de drogue, la pauvreté), et n’ont pas entièrement élucidé les relations entre ces dimensions. Il est donc nécessaire de trouver des moyens de rendre opérationnel un cadre social qui tienne compte des relations entre les facteurs hétérogènes qui déterminent les risques et les résultats liés à la drogue, tout en fournissant des orientations aux décideurs politiques et aux chercheurs dans les disciplines appliquées.

C’est à ce stade que nous cherchons à articuler l’intersectionnalité comme une approche relationnelle pour discerner les façons interconnectées dont les résultats liés à la santé et à la drogue sont produits en relation avec des processus opérant dans des dimensions politiques, sociales, physiques et économiques, et en relation avec la localisation sociale, ou les groupes auxquels les gens appartiennent compte tenu des systèmes d’oppression et de privilège qui se chevauchent (par exemple, la race, le genre, la sexualité). Notre intention n’est pas de proposer une ontologie supplémentaire de l’usage de drogues et du risque, mais plutôt d’étendre l’environnement de risque de l’usage de drogues en intégrant l’approche relationnelle de l’intersectionnalité. Bien que le cadre de l’environnement à risque tienne compte de la complexité à plusieurs niveaux et de la relationnalité récursive, il a été appliqué d’une manière qui n’a pas permis de prendre pleinement en compte les risques liés à la drogue et les effets sur la santé en tant que questions relationnelles qui sont vécues différemment par les populations consommatrices de drogue. Notre objectif est d’opérationnaliser ces aspects dans une optique intersectionnelle, ce qui a des implications significatives pour le développement d’approches de santé publique qui tiennent mieux compte de la complexité entre les groupes et au sein de ceux-ci, afin de lutter plus largement contre les inégalités.

Dans ce qui suit, nous définissons d’abord les cadres de l’environnement à risque et de l’intersectionnalité, en examinant comment ces approches ont été utilisées pour évaluer les inégalités en matière de santé et la répartition des maladies. Nous explorons ensuite la relation entre les éléments particuliers qui composent l’environnement de risque intersectionnel, et nous soulignons comment ce cadre peut fournir un aperçu plus approfondi des façons disparates dont les individus font l’expérience du risque et des résultats en matière de santé. Ce faisant, nous soulignons que l’examen des lieux sociaux dans le contexte des milieux socio-structurels et historiques tout au long du processus de recherche est essentiel pour mieux comprendre et traiter les inégalités en matière de santé. Nous proposons ensuite plusieurs suggestions pour rendre opérationnel le cadre intersectionnel de l’environnement de risque dans la recherche et la politique.

1.1 L’environnement à risque – une approche multi-niveaux de la réduction des risques

Le cadre de l’environnement à risque est le modèle écologique le plus en vue dans la recherche sur la consommation de substances, ayant été développé à l’origine pour évaluer le risque lié au VIH pour les PWUD (Rhodes et al., 2012). Dans sa version la plus élémentaire, l’environnement à risque est caractérisé comme l’espace social ou physique dans lequel les risques et les dommages sont produits ou atténués par l’interaction de facteurs exogènes à l’individu (Rhodes, 2002). Composé de quatre environnements (social, politique, économique et physique) opérant aux niveaux micro (immédiat ou institutionnel) et macro (sociétal), ce cadre élargit la responsabilité de la production de risques pour englober les structures et systèmes sociaux et politiques (Rhodes, 2002).

Comme le montre le tableau 1, les facteurs environnementaux de l’environnement de risque aux niveaux micro et macro (par exemple, les relations avec les pairs, les pratiques policières, les milieux de consommation de drogues) ont été identifiés comme essentiels pour façonner les réseaux de risque et de protection, la prise de décision et la répartition des dommages entre les populations (Bluthenthal et al., 1999 ; Cooper et al., 2005a,b ; Shannon et al., 2008 ; Strathdee et al., 2008, 2015). Bien que divisés dans le cadre de l’environnement à risque, les facteurs micro et macro-environnementaux se croisent, y compris à travers les niveaux d’influence, et interagissent constamment les uns avec les autres de manière dynamique pour produire ou réduire les risques et les résultats liés à la drogue (Rhodes et al., 2005). En tant que telle, cette heuristique sert à structurer les analyses en fournissant un cadre qui permet de situer les implications sociales du risque par rapport au contexte, plutôt que de délimiter des voies de causalité.

[TABLEAU 1]

Alors que les environnements à risque limitent l’agence, les PWUD créent, adaptent et incarnent activement les environnements à risque par le biais de pratiques quotidiennes (Bourdieu, 1990 ; Duff, 2007 ; Rhodes et al., 2012). Ainsi, le cadre de l’environnement à risque souligne l’interaction dynamique et relationnelle entre les individus et leur environnement (Rhodes, 2009 ; Rhodes et al., 2005). Ce processus de structuration, dans lequel les systèmes et structures sociaux et les individus sont engagés dans une interaction dynamique et ne sont donc pas indépendants les uns des autres (Giddens, 1984), positionne les PWUD comme des participants actifs au sein des environnements à risque qui incarnent et façonnent ces derniers par le biais de pratiques quotidiennes (Bourdieu, 1990 ; Boyd et al., 2018). Toutefois, le degré d’action qu’une personne peut exercer dans un environnement à risque est influencé par son niveau de vulnérabilité structurelle (Rhodes et al., 2012). La vulnérabilité structurelle est une position résultant de l’emplacement d’un individu dans une hiérarchie sociale en raison d’inégalités sociales (par exemple, le sexisme, le racisme) et structurelles (par exemple, la pauvreté, la criminalisation de la drogue) qui se croisent et rendent certaines populations plus susceptibles de souffrir socialement (Quesada et al., 2011). En tant que telle, la vulnérabilité structurelle peut influencer l’action en limitant la capacité des individus structurellement vulnérables (par exemple, les femmes, les travailleurs du sexe) à s’engager dans des pratiques de réduction des risques et peut être aggravée par des interventions manquant de soutien environnemental (par exemple, des programmes à bas seuil) (McNeil et al., 2015), intensifiant ainsi les influences sur la santé (Rhodes et al., 2012).

L’environnement à risque a fourni une heuristique précieuse pour analyser l’impact des facteurs socio-structurels sur les résultats de santé des PWUD dans divers espaces (par exemple, les prisons, les hôpitaux, les services de santé) (McNeil et al., 2014c ; Strathdee et al., 2015). Cependant, il a été sous-théorisé et largement appliqué d’une manière qui néglige les complexités et les inégalités vécues à travers les groupes de PWUD. Ce faisant, l’environnement écologique à risque a été utilisé d’une manière qui essentialise et homogénéise les PWUD en occultant les façons dont différentes personnes sont impactées par les forces sociales et structurelles plus que d’autres compte tenu de leur situation sociale. Notamment, un petit nombre de travaux de recherche ont visé à faire progresser le cadre existant de l’environnement à risque en examinant comment les expériences des résultats en matière de santé sont hétérogènes au sein des populations qui consomment des drogues sur la base, par exemple, de la race (Cooper et al., 2016b). Ces travaux ont apporté d’importantes contributions à l’examen des différences intragroupes, en attirant particulièrement l’attention sur la manière dont les facteurs de voisinage, tels que la répartition des avantages économiques, la surveillance par les forces de l’ordre et la proximité des services de réduction des risques, peuvent accroître les préjudices pour la santé des personnes racialisées qui s’injectent des drogues (Cooper et al., 2016a, 2016c).

Cependant, il reste nécessaire de se concentrer sur les processus et interactions multidimensionnels et relationnels qui se produisent entre les individus, les systèmes, les lieux et les objets à travers des contextes socio-historiques spécifiques, et sur la manière dont ils créent des résultats hétérogènes en matière de santé et de drogues. Il est essentiel de comprendre ces complexités pour élaborer des politiques spécifiques au contexte (Blankenship et al., 2006 ; Rhodes et al., 2005) et des interventions structurelles qui créent des “environnements favorables” à la réduction des risques pour des populations spécifiques (Duff, 2010), et qui peuvent mieux réduire les inégalités sociales et en matière de santé.

1.2 Intersectionnalité et santé publique

Le paradigme de l’intersectionnalité met en lumière la complexité des vies et des expériences humaines en soulignant que les lieux sociaux sont constitués d’identités multiples, fluides et croisées qui ne peuvent être réduites ou séparées (Collins, 1990 ; Crenshaw, 1991). En tant que telle, l’intersectionnalité met en évidence la manière dont les catégories d’identité (par exemple la race, le genre) sont souvent confondues dans les discours dominants, occultant les différences entre et au sein de groupes particuliers. En tant que telle, une approche intersectionnelle examine les intersections de multiples axes d’oppression et de privilège (par exemple, le genre, l’ethnicité, la capacité), en postulant que ce qui est produit à ces intersections est plus que ce qui est produit par chaque élément séparément (Crenshaw, 1991 ; Lorde, 1984). L’examen d’une seule dimension de la situation sociale d’un individu ne permet donc pas de représenter avec précision les façons uniques dont il fait l’expérience du privilège ou de l’oppression (Crenshaw, 1991 ; Hooks, 1989). Notamment, la plupart des études intersectionnelles n’infèrent pas que tous les lieux sociaux ont la même importance sociale, ni qu’ils sont également désavantagés, se concentrant principalement sur les personnes marginalisées (Bowleg, 2012 ; Nash, 2008). Nous utilisons ici l’intersectionnalité comme approche générale de l’identité, en partant du principe que l’examen de tous les lieux sociaux (y compris ceux qui sont privilégiés) permet de mieux mettre en évidence les liens complexes et intimes entre les privilèges et l’oppression et la manière dont ils se croisent pour produire ou atténuer les préjudices subis par les groupes de PWUD. En outre, dans le cadre de l’intersectionnalité, la primauté est accordée aux structures de pouvoir au niveau macro qui façonnent les expériences au niveau micro. Toutefois, comme ces interactions sont dynamiques et socialement construites, les expériences et les interactions entre ces systèmes de pouvoir évoluent dans le temps et sont façonnées par le lieu (Crenshaw, 1991).

Historiquement, l’intersectionnalité est née de l’examen de la manière dont les femmes noires ont été exclues des discours féministes et antiracistes, opprimées par les lois et les politiques, et subjuguées par les inégalités sociales et économiques (Collins, 1990 ; Lorde, 1984 ; Roberts, 1991). Plus récemment, l’intersectionnalité a été appliquée dans le domaine de la santé publique pour examiner les inégalités en matière de santé et la distribution des résultats sanitaires au sein de diverses populations (Bowleg, 2012). Ce faisant, l’intersectionnalité a illustré comment les approches épidémiologiques traditionnelles (par exemple, les approches analytiques binaires, la dichotomisation du sexe et du genre) peuvent obscurcir les façons uniques dont des populations particulières subissent des inégalités en matière de santé, en particulier lorsqu’elles sont enracinées dans les expériences des individus blancs de la classe moyenne (Hankivsky, 2012). Par exemple, ce corpus de travaux a utilisé une approche intersectionnelle pour examiner la santé mentale (Morrow et al., 2006), le risque d’acquisition du VIH (Dworkin, 2005) et les inégalités liées à la santé parmi les communautés lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, queer, bispirituelles et intersexuées (LGBTQ2SI+) (Bowleg, 2012 ; Brotman et al., 2002).

Malgré les appels à l’intégration de l’intersectionnalité dans la recherche épidémiologique et de santé publique, il n’y a pas encore eu de large intégration dans la recherche générale (Hankivsky, 2012). Cette lenteur d’application a été largement attribuée à l’absence d’une méthodologie définie et à la nécessité d’englober une multitude d’éléments et de variables socio-structurelles (Bauer, 2014). Il est donc nécessaire de mieux opérationnaliser un cadre intersectionnel dans la recherche sur la santé. Ce faisant, on peut mettre l’accent sur les façons dynamiques dont les lieux sociaux émergent continuellement à travers les processus sociaux et structurels tout en étant (re)produits, (re)incarnés et remis en question de manière à façonner les résultats dans des contextes socio-historiques spécifiques.

2. La production de contextes de santé – des lieux qui se croisent

Un cadre d’environnement à risque intersectionnel encourage une analyse critique, axée sur la justice sociale, de la production de résultats liés à la drogue et à la santé en accordant une attention explicite aux inégalités entre les populations. Nous définissons ici l’environnement à risque intersectionnel comme la convergence des dimensions sociales et structurelles et des lieux sociaux croisés des individus, qui interagissent avec les comportements individuels et les influencent pour produire des résultats en matière de santé (voir Fig. 1). Ainsi, l’environnement à risque intersectionnel est un type d’assemblage situationnel (Deleuze et Guattari, 1987), dans lequel les relations entre les processus, les objets et les lieux interagissent dans des contextes sociaux, historiques et géographiques spécifiques pour produire des effets variés sur la santé en fonction de la situation sociale (par exemple, le genre, la sexualité, les aptitudes). C’est cette situation qui contribue à la multitude de façons dont l’environnement de risque intersectionnel est incarné, reflété, reproduit et remis en question dans le cadre d’interactions récursives (Bourdieu, 2000 ; Giddens, 1984).

Toutefois, la manière dont un individu met en œuvre, incarne et fait preuve d’action dans les pratiques sociales qui influencent les résultats en matière de drogue et de santé est façonnée par ses situations sociales croisées, qui sont elles-mêmes le produit du racisme structurel, du néolibéralisme, des inégalités de genre et de l’histoire coloniale, entre autres choses. Le cadre intersectionnel de l’environnement à risque intègre donc une perspective intersectionnelle relationnelle pour examiner les diverses façons dont les résultats différentiels liés à la drogue et à la santé sont produits. Si l’approche intersectionnelle catégorielle se concentre sur les relations entre les groupes sociaux (par exemple, les femmes de la classe ouvrière, les hommes hispaniques bisexuels) et sur l’évolution de ces relations (McCall, 2005), elle est limitée dans son examen des lieux sociaux en tant que catégories fluides. Une perspective intersectionnelle relationnelle cherche à mettre en évidence la complexité de ces catégories, en postulant que les lieux sociaux ne sont pas fixes, mais plutôt en devenir (Deleuze et Guattari, 1987 ; Rhodes, 2018), enchevêtrés et façonnés par les dynamiques socio-structurelles. Par exemple, les dialogues (par exemple, les différences de pouvoir entre les sexes), les politiques (par exemple, les approches punitives pour la consommation de drogues pendant la grossesse), les espaces (par exemple, l’espace public, le domicile) et les éléments matériels (par exemple, les seringues, le kit de naloxone) confèrent une signification particulière aux lieux sociaux tels que le genre, mais ce faisant, créent et renforcent simultanément les identités et les inégalités sexuées (par exemple, les femmes en tant que soumises, responsables des soins) (Butler, 1990 ; Hansen, 2012).

Il est important de noter que nous considérons que le risque et la réponse au risque dépendent de la situation (Bloor, 1995), mais nous soutenons que ces risques situés peuvent être vécus différemment en fonction des interactions entre les lieux sociaux et les processus socio-structurels qui se croisent. Ainsi, l’environnement de risque intersectionnel interroge explicitement le fonctionnement dynamique des lieux sociaux, qui sont simultanément expérimentés, adaptés et façonnés par les environnements de risque (Bourdieu, 1977, 2000). Nous avons supprimé les distinctions entre les niveaux macro et micro de l’environnement de risque afin de mieux démontrer l’interaction dynamique entre les niveaux d’influence socio-structurelle et les lieux sociaux dans la production ou la réduction des risques et des dommages liés à la drogue.

Ci-dessous, nous explorons les lieux sociaux clés décrits dans la figure 1, en soulignant comment ils sont non seulement façonnés par les dimensions de l’environnement du risque lié à la drogue, mais se croisent et se renforcent mutuellement. Bien qu’une multitude de facteurs convergent pour façonner la vie quotidienne, nous nous concentrons sur les lieux sociaux clés, ou primaires, qui sont enracinés dans les structures d’inégalité (par exemple le genre, la classe, la race), et sur la manière dont ils influencent les résultats en matière de santé pour les PWUD. Bien que des positions secondaires telles que l’âge soient également impliquées, les effets de ces positions peuvent avoir moins d’impact sur les résultats sociaux et sanitaires. Il convient de noter que cette différenciation des lieux primaires et secondaires n’est pas complète. Notre objectif est plutôt de fournir des orientations sur la manière dont une approche intersectionnelle de l’environnement à risque peut être mise en œuvre de manière à mettre en lumière les principaux axes d’inégalité. Cependant, la détermination des lieux sociaux définis comme primaires et secondaires peut également dépendre du contexte, et être influencée à la fois par le contexte socio-structurel et par des situations spécifiques. Il est important de noter que nous définissons plusieurs des catégories suivantes (par exemple le genre, la classe, la race) comme étant produites socialement, tout en engendrant des effets réels dans la société et les expériences vécues.

2.1 Genre

Les études épidémiologiques ont largement confondu le sexe biologique et le genre, se concentrant sur des variables dichotomisées pour examiner les différences fondées sur le sexe/genre dans les résultats en matière de drogue et de santé (Bowleg, 2012 ; Hankivsky, 2012). Cependant, le genre est fluide et relationnel (Butler, 1990 ; Schippers, 2007). En tant que telle, la bifurcation du genre minimise les complexités du genre dans les milieux de la drogue, car elle néglige les facteurs socio-économiques et politiques qui ont un impact sur le développement et la performance du genre tout au long du parcours de vie et au fil des générations (Butler, 1990). Des recherches s’appuyant sur le cadre écologique de l’environnement à risque ont montré comment les relations de pouvoir et de contrôle entre les genres dans les partenariats de consommation de drogue peuvent accroître les risques liés à la santé et à la drogue si les femmes sont souvent les deuxièmes sur la seringue, ont besoin d’aide pour s’injecter et sont incapables de négocier des stratégies de réduction des risques en raison d’obstacles socio-structurels, tels que le risque de violence (Bourgois et al., 2004 ; Rhodes et al., 2012 ; Sherman et al., 2011). Il a été démontré que ces facteurs sont encore exacerbés par l’âge, les jeunes femmes qui consomment des drogues étant souvent exposées à un risque accru de méfaits liés à la santé et à la drogue (Bourgois et al., 2004).

Des recherches ethnographiques récentes intégrant des approches intersectionnelles dans des analyses s’inspirant du cadre de l’environnement à risque ont encore davantage problématisé la dynamique des scènes de drogue (Boyd et al., 2018). Ces travaux ont illustré comment la violence quotidienne avait un impact différencié sur les femmes marginalisées qui consomment de la drogue, les femmes racisées et autochtones et les femmes transgenres étant les plus touchées (Boyd et al., 2018). En se concentrant sur les aspects relationnels au sein d’une scène de drogue de rue, cette recherche a démontré comment des facteurs structurels tels que la criminalisation de la drogue, le colonialisme, le manque de logements, les inégalités de genre, le racisme systémique et l’injection assistée interdite se sont croisés de manière à façonner, et à être façonnés par, les emplacements sociaux des femmes, augmentant ainsi leur risque de préjudice (Boyd et al., 2018). En s’inspirant des aspects de l’intersectionnalité dans un cadre d’environnement de risque, ce travail a utilisé une lentille de justice sociale pour illustrer les obstacles racialisés et liés au genre qui limitaient l’accès aux services de réduction des risques dans le contexte d’une urgence de santé publique (Boyd et al., 2018). Ce faisant, cette recherche est en mesure d’ajouter de la complexité aux compréhensions existantes des interventions de santé publique en fournissant une compréhension plus axée sur la justice sociale des risques liés aux drogues et de la façon dont le risque diffère dans un contexte socio-historique spécifique. Cependant, elle crée également un espace pour examiner comment les PWUD exercent leur pouvoir en contestant et en changeant les environnements à risque (par exemple, les interventions de réponse aux overdoses menées par les pairs), et comment ceux-ci sont également influencés par, et en fait produisent, un emplacement social dans des contextes socio-structurels spécifiques. Cela est particulièrement instructif à la lumière de l’activisme mené par les consommateurs de drogues qui émerge au sein de communautés confrontées à de multiples oppressions structurelles (par exemple, l’instabilité du logement, la marginalisation socio-économique) (Bardwell et al., 2018 ; Kennedy et al., 2019 ; Kerr et al., 2017 ; McNeil et al., 2014b).

Notamment, la manière dont la consommation de drogues par les femmes a été interprétée et stigmatisée a varié au fil des générations, façonnée par les normes de genre et les campagnes de marketing, qui sont liées à des discours raciaux et de classe (Herzberg, 2010). Par exemple, l’usage régulier de benzodiazépines par les femmes blanches de la classe moyenne aux XIXe et XXe siècles n’était pas stigmatisé, mais assurait sans doute le maintien des rôles et des normes de genre traditionnels (par exemple, femme au foyer passive, docilité) (Herzberg, 2010). Toutefois, les attentes en matière de rôles de genre diffèrent pour les femmes de couleur et les femmes racisées qui consomment des drogues dans les pays occidentaux. Les femmes racisées sont considérées comme plus “sournoises” pour leurs “transgressions” des normes de genre que les femmes blanches, et subissent donc une pénalisation accrue en vertu de la loi (par exemple, les arrestations d’enfants) (Boyd, 2015). L’application d’une lentille intersectionnelle de l’environnement de risque pourrait problématiser davantage les complexités résultant de la manière dont le genre, la race, la sexualité et les capacités ” deviennent ” à travers les politiques, et comment celles-ci évoluent au fil du temps. Par exemple, les recherches explorant le traitement de la toxicomanie et la consommation de drogues ont décrit comment les PWUD sont construits par des hiérarchies genrées et racialisées de manière à délimiter ceux qui ne méritent (pas) d’être traités (Hansen, 2017 ; Knight, 2017). Ce faisant, ce travail est mieux placé pour éclaircir davantage les complexités entourant les inégalités sociales et sanitaires pour les PWUD, et la façon dont les individus résistent aux efforts visant à produire et à réifier les inégalités.

2.2 La race

Un grand nombre de recherches ont détaillé l’impact de la race sur les résultats sociaux et sanitaires pour les PWUD (par exemple, des taux plus élevés de VIH, des obstacles géographiques et structurels au traitement, des taux d’incarcération accrus), et se croisent avec la marginalisation socio-économique, le genre et la géographie de manière à produire des préjudices nettement différents (Cooper et al., 2016b ; Hansen, 2017 ; Hansen et al., 2016 ; Knight, 2017). Cependant, l’examen de la race dans les contextes socio-historiques dans lesquels elle est construite permet d’élucider les dynamiques qui la produisent et la reproduisent (Hall, 1980), et souligne comment la race se croise avec les environnements sociaux et structurels à travers les générations pour façonner les résultats en matière de santé. Par exemple, la recherche en sociologie médicale et en anthropologie a démontré comment les discours médicaux et la discrimination systémique sont liés aux récits de race, de classe et de genre pour façonner le mérite des soins dans les établissements de santé (Hansen, 2017 ; Knight, 2017 ; Netherland et Hansen, 2016). Dans le cas des programmes de traitement des agonistes opioïdes aux États-Unis, les obstacles structurels (par exemple, les obstacles financiers, le processus d’orientation, les types de couverture médicale acceptés) et l’emplacement géographique des services peuvent créer des disparités dans l’accès aux options de traitement pour les personnes racialisées à faible revenu, ce qui fait qu’un plus grand nombre de personnes racialisées se voient prescrire des thérapies d’entretien plus réglementées et stigmatisées telles que la méthadone (Hansen et al., 2016). Comme cette recherche s’est concentrée sur la race, la géographie et le revenu, l’examen de ces dynamiques dans une perspective intersectionnelle de l’environnement de risque peut également discerner comment l’accès aux traitements agonistes opioïdes est encore compliqué par le genre, les notions de ” mérite ” des soins et les approches punitives de l’usage de drogues qui fonctionnent dans le cadre de hiérarchies de classe racialisées. Il est important de noter qu’un cadre intersectionnel de l’environnement à risque pourrait également examiner la manière dont ces dynamiques sont incarnées, recréées et combattues au sein des populations qui consomment des drogues, en fonction de leur situation sociale croisée au fil du temps.

En outre, les facteurs structurels, notamment la pauvreté, les pratiques de soins de santé, les politiques punitives et les contextes de quartier, peuvent avoir un impact significatif sur les résultats en matière de drogue et de santé pour les PWUD racialisés (Cooper et al., 2016b). Cependant, ces facteurs sont également ancrés dans des formes historiques d’oppression (par exemple, le colonialisme, l’esclavage) (Crenshaw, 1991 ; Million, 2013), qui peuvent façonner le bien-être des individus à travers les générations (Sotero, 2006). La recherche a indiqué comment les femmes racialisées qui consomment des drogues sont touchées de manière disproportionnée par les pratiques punitives, qui créent des obstacles à l’accès aux services liés à la santé (Knight, 2017), car elles se superposent à des notions disparates de la maternité qui sont racialisées et classées (Hansen, 2017 ; Knight, 2017). L’application d’un cadre d’environnement de risque intersectionnel pourrait permettre de discerner d’autres pièces de l’assemblage dans lequel les inégalités en matière de santé sont enracinées, ainsi que les dynamiques qui font que certaines populations racialisées sont plus exposées au risque d’incarcération (Sapers, 2016 ; Small, 2001), aux méfaits liés à la drogue ou à d’autres inégalités sociales lorsqu’elles se croisent avec d’autres lieux sociaux.

Par exemple, des recherches ethnographiques intégrant l’intersectionnalité dans des analyses ancrées dans un cadre d’environnement de risque écologique ont illustré les façons variées dont les femmes autochtones vivent le risque de surdose compte tenu des hiérarchies racialisées et de genre, de la marginalisation socioéconomique et de l’instabilité du logement qui augmentent leur interaction avec la police (Boyd et al., 2018). Cependant, en situant ces recherches dans le contexte du colonialisme, ces travaux sont en mesure de discerner comment ces facteurs qui se chevauchent créent des obstacles aux services de réduction des risques nécessaires, en particulier parce qu’ils sont largement mis en œuvre sans tenir compte des besoins multiples au sein des populations racialisées qui consomment des drogues et entre elles (Boyd et al., 2018).

Alors que la recherche a mis en évidence la façon dont les personnes racialisées sont touchées de manière disproportionnée par les méfaits de la drogue et de la santé en raison de systèmes d’oppression qui se recoupent, l’omniprésence du racisme et de l’ethnocentrisme a perpétué ces inégalités en matière de santé (Allan et Smylie, 2015). Il est impératif de comprendre comment la race se croise avec des lieux sociaux supplémentaires à travers les dimensions environnementales pour aborder et atténuer les résultats en matière de santé pour les PWUD racialisés.

2.3 Capacités

L’influence des capacités sur les dommages subis par les PWUD est de plus en plus reconnue. Des études cliniques et ethnographiques ont démontré comment les conditions de santé physique et mentale (par exemple, mauvais accès veineux, paralysie, maladie de Parkinson, dépression) résultant du vieillissement, de la consommation de drogues à long terme et d’expériences traumatisantes peuvent créer des résultats liés aux drogues ayant un impact sur la morbidité et la mortalité des PWUD (McNeil et al., 2014b ; Wurcel et al., 2015). Par exemple, les PWUD qui ont un handicap peuvent avoir besoin d’aide pour s’injecter, ce qui est souvent interdit dans les sites d’injection afin de minimiser les risques de responsabilité civile ou pénale (Pearshouse et Elliott, 2007). Il est donc essentiel de tenir compte des mécanismes par lesquels les environnements sociaux, structurels et bâtis (par exemple, les politiques opérationnelles, l’accessibilité des services) façonnent les risques liés à la santé et à la drogue pour les PWUD ayant des capacités variables afin de remédier aux inégalités qui exacerbent leur risque de préjudice.

La recherche en sciences médico-sociales a mis en évidence la manière dont les risques incarnés liés à l’impossibilité d’accéder à une aide à l’injection peuvent limiter l’engagement dans les services de réduction des risques nécessaires pour certains PWUD, renforçant les inégalités et les expériences de violence lorsque les injections ont lieu dans d’autres espaces physiques (par exemple, des allées) avec des “médecins” (c’est-à-dire une personne qui pratique des injections) (Fairbairn et al., 2010 ; McNeil et al., 2014b). Par exemple, une recherche ethnographique utilisant une approche de l’environnement à risque plus en phase avec les différences au sein des populations très vulnérables qui consomment des drogues, a illustré comment des facteurs spatiaux, sociaux et structurels particuliers créaient un risque différentiel pour les personnes ayant besoin d’aide pour s’injecter (McNeil et al., 2014b). Cette recherche a montré que les femmes marginalisées sur le plan socio-économique et les personnes handicapées étaient touchées de manière disproportionnée par les mécanismes socio-juridiques régissant les espaces d’injection (McNeil et al., 2014b). Bien que ces travaux aient examiné de manière plus relationnelle les lieux sociaux dans l’élaboration des résultats en matière de santé et de drogues, une lentille intersectionnelle relationnelle de l’environnement à risque pourrait démêler davantage la manière dont les contextes historiques et sociaux (par exemple, le colonialisme, l’activisme mené par les consommateurs de drogues, la mise en œuvre sans la contribution des PWUD, l’exclusion), les objets (par exemple, les seringues, les veines) et les lieux (par exemple, les sites de consommation, les allées, les quartiers) réifient la marginalisation des PWUD en façonnant la manière dont les expériences sont incarnées et remises en question. En outre, l’examen des complexités de la sexualité et de la racialisation dans ces contextes peut élucider la relation entre le risque et les lieux sociaux, qui façonnent à la fois le risque et le “devenir”.

Si la recherche sur l’injection assistée donne un aperçu précieux des besoins en matière de réduction des risques pour les PWUD ayant des capacités variables (par exemple, McNeil et al., 2014b), il est nécessaire d’examiner de manière critique comment les environnements sociaux, physiques, économiques et politiques façonnent également les risques liés à la drogue sur la base des lieux sociaux. Plus précisément, il existe encore peu de recherches examinant les pratiques de consommation de drogues des PWUD ayant des capacités variées, y compris l’engagement dans des services de réduction des risques (par exemple, échanges de seringues, sites de consommation de drogues) et la gestion des risques liés à la drogue. Un cadre intersectionnel de l’environnement de risque peut constituer une optique utile pour mener ce travail, car il est bien placé pour examiner comment les contextes socio-structurels (par exemple, la violence interpersonnelle, la discrimination), de mise en œuvre (par exemple, les politiques opérationnelles, le matériel éducatif sous différentes formes) et physiques (par exemple, la mobilité, l’accès physique aux services) peuvent produire ou minimiser les inégalités lorsqu’ils se croisent avec des expériences relationnelles intersectionnelles. En s’appuyant sur ces éléments, les interventions de réduction des risques, les programmes de santé publique, les services de santé et les services auxiliaires peuvent mieux minimiser les inégalités en matière de santé et offrir une plus grande autonomie aux PWUD ayant des capacités diverses, dans une optique de justice sociale.

2.4 La sexualité

La sexualité est fluide et complexe, négociée dans un cadre hétéronormatif (Foucault, 1990 ; Rich, 1980) dans lequel elle est largement contrainte par les hiérarchies et les normes de genre (Butler, 1990). Ainsi, les individus qui sont ou sont perçus comme non hétéronormatifs sont souvent examinés et confrontés à la discrimination et à la stigmatisation (Foucault, 1990) dans des contextes socio-historiques spécifiques. Il est impératif de tenir compte de ces relations dans les contextes non hétéronormatifs et hétéronormatifs pour comprendre les inégalités qui peuvent se développer pour les PWUD. Par exemple, les cadres hétéronormatifs peuvent avoir une incidence sur les résultats en matière de santé pour les PWUD, la recherche démontrant que la stigmatisation subie dans les établissements de soins de santé (par exemple l’homophobie) peut décourager l’engagement des personnes LGBTQ2SI+ qui consomment des drogues (Lombardi, 2007) et compromettre les soins nécessaires en raison d’approches binaires de la sexualité (Hughes et al., 2010). Une analyse politique critique a élucidé la manière dont les politiques en matière d’alcool et d’autres drogues en Australie s’appuient sur des cadres hétéronormatifs et genrés qui “créent” les communautés LGBTQ2SI+ comme étant “à risque”, supprimant ainsi leur agence et problématisant leur consommation de drogues (Pienaar et al., 2018). L’utilisation d’un cadre intersectionnel d’environnement à risque peut attirer davantage l’attention sur les manières nuancées dont les individus incarnent, résistent et adaptent ces expériences à travers la négociation de leur sexualité en relation avec les dynamiques socio-structurelles, telles que la racialisation, l’environnement socio-politique et les relations sociales.

En outre, les espaces dans lesquels les services de réduction des risques sont accessibles, tels que les centres de traitement et les centres d’injection, ainsi que les approches de ces services, ont historiquement été établis à travers une lentille hétéronormative qui ne prend pas suffisamment en compte les autres identités (Pinkham et al., 2012). Les effets de ces oublis peuvent créer des obstacles à l’engagement de certaines populations, en particulier si ces espaces renforcent les rôles hétéronormatifs (Boyd et al., 2018), tels que les femmes en tant que “soignantes” ou les hommes en tant que plus agressifs. En outre, les politiques structurelles et les programmes qui ne tiennent pas compte des besoins spécifiques des personnes LGBTQ2SI+ peuvent constituer des obstacles supplémentaires à l’engagement et exacerber les expériences de discrimination et de stigmatisation dans les établissements de santé et de services auxiliaires (Lombardi, 2007). La discrimination et la stigmatisation peuvent en outre contribuer à accroître le risque de violence et de traumatisme chez les PWUD LGBTQ2SI+ (Balsam et al., 2004). Non seulement ces interactions peuvent accroître la consommation de drogues, mais elles peuvent aussi exacerber les effets néfastes sur la santé, notamment l’isolement social et la dépression (Ritter et al., 2012). Cependant, en adoptant une approche plus écologique avec des catégories distinctes, plutôt que d’aborder les enchevêtrements complexes par lesquels des lieux sociaux comme la sexualité sont créés et redéfinis, ce travail peut négliger la façon dont des dynamiques structurelles particulières (par exemple, les politiques nationales, l’accès aux soins de santé) peuvent remodeler la sexualité et les expériences individuelles de la sexualité lorsqu’elles se croisent avec d’autres lieux socio-économiques (par exemple, le genre, la race, l’âge).

Une optique intersectionnelle relationnelle souligne également comment un amalgame de la sexualité dans des catégories dichotomiques (par exemple, gay/lesbienne ou hétérosexuel/hétéro) peut ne pas saisir les dimensions sociales interconnectées de la sexualité qui façonnent les risques pour la santé (Hughes et al., 2010) et la façon dont la sexualité peut changer au fil du temps. Il est toutefois important de noter qu’il existe encore peu de recherches sur les différents risques liés à la drogue auxquels sont exposées les personnes LGBTQ2SI+. L’utilisation d’un cadre intersectionnel de l’environnement de risque pour guider des recherches supplémentaires qui explorent la façon dont les personnes LGBTQ2SI+ font l’expérience de la santé et de la drogue en relation avec des facteurs tels que le racisme structurel, le colonialisme, les environnements sociopolitiques est impératif pour fournir des services adaptés afin de mieux répondre aux besoins.

2.5 Classe

Les facteurs structurels associés à l’inégalité des classes et des revenus (par exemple, le sous-développement des quartiers, les politiques dictant les taux d’aide sociale, les primes d’assurance, les environnements ruraux) peuvent influencer les résultats en matière de drogue et de santé. Cependant, l’inégalité des revenus est intrinsèquement racialisée et genrée, et se superpose aux pratiques de la justice pénale (par exemple, l’incarcération de masse, les arrestations liées à la drogue) d’une manière qui peut accroître les risques pour la santé (par exemple, le VIH) des PWUD (Friedman et al., 2016), les femmes pauvres et racialisées étant touchées de manière disproportionnée (Sapers, 2016 ; Swavola et al., 2016). Cette dynamique accroît le risque de violence pour les personnes à faible revenu qui se tournent vers des formes de travail informelles et illégales (par exemple, le commerce du sexe, le recyclage, la vente de drogue) tout en amplifiant les inégalités sanitaires et sociales (Boyd et al., 2018 ; Strathdee et al., 2015 ; Tempalski et McQuie, 2009). Cependant, la recherche épidémiologique a mis en évidence la façon dont les facteurs socio-économiques se croisent avec la race pour produire des résultats sanitaires hétérogènes dans les populations à faible revenu (Cooper et al., 2005a,b ; Friedman et al., 2016 ; Strathdee et al., 2010). Par exemple, les quartiers à faible revenu et racialisés sont souvent ciblés par des niveaux accrus de maintien de l’ordre et de surveillance (par exemple, répression des drogues, ratissages policiers), ce qui a des répercussions importantes sur les pratiques de réduction des risques (par exemple, partage des seringues, injections précipitées) et le risque de transmission et d’acquisition du VIH pour les PWUD (Cooper et al., 2005a,b ; Strathdee et al., 2010). Un cadre intersectionnel de l’environnement à risque peut illustrer comment des inégalités plus importantes liées à des facteurs tels que le genre, la race et la sexualité sont inextricablement liées à la classe et ne peuvent donc pas être séparées de manière significative. En tant que tel, ce cadre promet de fournir des analyses plus complexes en tenant compte de ces éléments interconnectés et fluides liés à la classe, tout en soulignant la manière dont les individus incarnent, contestent et créent ces mêmes dynamiques.

D’autres recherches ont montré comment la classe et l’inégalité des revenus s’entrecroisent également avec le genre et les capacités pour produire des résultats sanitaires et sociaux hétérogènes pour les populations à faibles revenus. Toutefois, ces facteurs imbriqués ne sont pas stagnants, mais évoluent au fil du temps, dans des contextes spécifiques et en fonction de l’évolution des capacités physiques (Bourgois et Schonberg, 2009 ; McNeil et al., 2014a). Par exemple, une recherche ethnographique longitudinale menée auprès d’hommes démunis présentant divers niveaux de capacité a montré comment les hommes s’engagent parfois dans des partenariats homosociaux avec d’autres hommes qui non seulement aident à subvenir aux besoins économiques (par exemple, achat collectif et partage de la drogue, fourniture de nourriture), mais aident également à l’injection (Bourgois et Schonberg, 2009). Si ces relations présentent des avantages économiques et sociaux, ces masculinités marginales, intimement liées à la classe sociale, peuvent renforcer la marginalisation par la subordination dans les partenariats, le risque accru de violence et la limitation de l’accès aux services nécessaires (Bourgois et Schonberg, 2009 ; McNeil et al., 2014a).

Si ces travaux ont souligné comment la classe et d’autres facteurs croisés peuvent “créer” le genre et avoir un impact sur le risque de violence (Bourgois et Schonberg, 2009 ; McNeil et al., 2014a), un cadre intersectionnel de l’environnement de risque pourrait rendre les analyses plus complexes en examinant comment les politiques, le discours et les relations sociales peuvent façonner davantage les inégalités en matière de santé au sein des populations marginalisées qui consomment des drogues, et entre elles, en prêtant attention à la manière dont la classe est racialisée et genrée. Par exemple, un cadre intersectionnel de l’environnement de risque pourrait être bien placé pour examiner comment le risque de dommages sociaux ou liés à la drogue est encore plus compliqué pour les personnes à faible revenu, racialisées et non binaires en examinant comment la violence, la sexualité et les capacités liées au genre sont créées, renforcées et remises en question dans le contexte d’une scène de la drogue.

3. Implications et orientations futures

En articulant les façons complexes, croisées et relationnelles dont les résultats en matière de santé sont produits par le travail dynamique des lieux sociaux et des facteurs socio-structurels, ce document a fait valoir la nécessité d’élargir notre champ de compréhension des risques et des dommages à travers et au sein des populations. Comme les modèles précédents de l’environnement de risque (Rhodes et al., 2005 ; Strathdee et al., 2010), nous mettons l’accent sur l’interaction relationnelle et dynamique des facteurs dans toutes les dimensions de l’environnement. Cependant, nous élargissons le cadre de l’environnement à risque en intégrant une approche relationnelle de l’intersectionnalité qui nous permet de nous concentrer sur les inégalités sociales et de santé au sein des groupes et entre eux. Dans la mesure où les individus sont engagés dans la lutte contre les inégalités en matière de santé dans une optique de justice sociale, il est nécessaire d’examiner de manière plus holistique le réseau de facteurs qui façonnent les expériences de risque et de préjudice pour les individus.

Bien que de nombreuses recherches aient documenté l’impact des environnements à risque sur les PWUD (Rhodes et al., 2012 ; Strathdee et al., 2010), les recherches examinant les relations entre les lieux sociaux et les facteurs socio-structurels de manière à mettre en évidence la nuance et la complexité ont été plus limitées (Boyd et al., 2018 ; Collins et al., 2018 ; McNeil et al., 2014a). L’intégration d’une approche intersectionnelle relationnelle dans le cadre de l’environnement à risque de la consommation de drogues peut permettre de mieux informer les environnements favorables et les interventions structurelles en phase avec les inégalités vécues entre et au sein de populations particulières. Les récentes études critiques sur les drogues qui problématisent les concepts de dépendance et de dommages sont également particulièrement importantes, car elles attirent l’attention sur la façon dont les hypothèses sur les drogues, la dépendance et les dommages sont historiques, culturelles et politiques (Fraser, 2017 ; Fraser et al., 2014).

L’examen de la multitude de façons dont les lieux sociaux sont influencés par les dimensions environnementales et interagissent avec elles pour façonner les résultats en matière de santé et de drogues peut contribuer à des stratégies et des interventions de santé publique mieux adaptées aux besoins variables des personnes rendues plus susceptibles de subir des dommages. À ce titre, nous suggérons d’explorer les processus qui contribuent aux situations sociales des individus et la manière dont elles sont incarnées, reproduites et remises en question de manière à influer sur les résultats en matière de santé, en soutenant que, ce faisant, les interactions spécifiques qui contribuent aux contextes socio-structurels et qui en découlent peuvent être mieux comprises.

3.1 Application à la santé publique et recherche future

Bien que le présent document soit principalement axé sur le PWUD, le cadre intersectionnel de l’environnement à risque peut s’appliquer plus largement dans le domaine de la santé publique, où l’on se préoccupe du fait que les lieux sociaux peuvent influer sur les résultats en matière de santé. Ainsi, la configuration exacte du cadre de l’environnement de risque intersectionnel peut varier. Adapter le cadre au contexte local en incluant des positions sociales primaires et secondaires plus en phase avec la question spécifique examinée (par exemple, les environnements de travail sexuel, la gestion des maladies chroniques dans les zones rurales, l’accès aux soins de santé dans les prisons) peut aider à son application à l’ensemble des populations pour comprendre les inégalités au sein des groupes et entre les groupes. Par exemple, si l’on applique le cadre de l’environnement à risque intersectionnel à l’accès au traitement des maladies rénales chroniques dans une région rurale des États-Unis, les principaux lieux sociaux peuvent inclure des facteurs tels que le genre, la race, les capacités et le niveau de revenu. D’autres dynamiques, telles que la logistique des transports, les politiques régissant les coûts des soins de santé et les primes d’assurance, ainsi que l’environnement social et bâti, peuvent également être cruciales à examiner, car elles se croisent avec les lieux sociaux de diverses manières. Ce faisant, ce cadre peut mettre en évidence le fait que des dynamiques sociales et structurelles particulières (par exemple, le racisme structurel, les hiérarchies de genre) s’entrecroisent avec les lieux sociaux de manière à rendre des populations rurales spécifiques (par exemple, les femmes racialisées à faible revenu) plus exposées au risque d’insuffisance rénale chronique et de comorbidités. En outre, ce cadre pourrait illustrer la manière dont les discours et les idéaux relatifs à la performance de genre (par exemple, la prise en charge), la stigmatisation fondée sur la classe sociale, le racisme systémique, l’histoire coloniale et l’inégalité des revenus créent des contextes spécifiques dans lesquels les individus remettent en question, incarnent et adaptent leurs environnements de risque intersectionnels en fonction de leurs besoins.

Il est important de noter que ce cadre fournit un outil permettant de se concentrer explicitement sur les inégalités et sur la manière dont elles sont vécues, adaptées, remises en question et incarnées dans des contextes relationnels, ce qui peut être utilisé pour développer un programme de recherche. Il est important d’étudier la manière dont l’évolution et l’adaptation des lieux sociaux dans le cadre de processus sociaux et structurels plus larges influent sur ces inégalités, les renforcent ou les minimisent, afin de mettre en œuvre des interventions et des services mieux adaptés aux divers besoins. Comme le cadre plus standard de l’environnement à risque, cette heuristique reconnaît également l’action des individus. Cependant, étant donné que l’environnement de risque intersectionnel met l’accent sur les inégalités, des recherches supplémentaires sont nécessaires pour examiner de plus près la manière dont les divers groupes agissent au sein des environnements de risque intersectionnels. L’histoire de l’activisme au sein des communautés de consommateurs de drogues peut fournir un point de vue permettant d’examiner les diverses façons dont les PWUD façonnent les environnements à risques intersectionnels. En outre, les futures recherches sur les urgences de santé publique, telles que la crise des surdoses, devraient envisager d’utiliser ce cadre pour mieux évaluer les inégalités sociales et sanitaires qui rendent certaines populations plus susceptibles de subir des préjudices (Boyd et al., 2018). Ce faisant, ce cadre est bien adapté pour fournir des recommandations d’interventions et de services de santé publique mieux adaptés aux divers besoins des populations au sein d’un même groupe et d’un groupe à l’autre.

3.2 Stratégies méthodologiques

Les travaux existants ont décrit les méthodes d’opérationnalisation de l’approche intersectionnelle dans la recherche en santé publique (Bauer, 2014 ; Bowleg, 2012 ; Hankivsky, 2012). Nous n’avons pas l’intention de réitérer ces travaux, mais plutôt d’illustrer comment ces méthodes peuvent être utilisées avec un cadre intersectionnel de l’environnement de risque. Si ce cadre peut être mis en œuvre pour guider la recherche, il est également impératif de le tester en l’appliquant et de continuer à l’affiner, car repousser les limites de cette approche l’aidera à évoluer. Il est important, lors de la mise en œuvre de ce cadre, de réfléchir de manière critique à la façon dont la recherche sera organisée, aux questions de recherche qui la guideront et aux méthodologies qui seront choisies, car ces éléments peuvent activement rendre invisibles des populations particulières, des expériences particulières et des résultats de santé particuliers s’ils sont continuellement négligés dans les travaux de recherche (Clatts, 2001). L’utilisation d’un cadre intersectionnel de risque et d’environnement pour guider la conceptualisation et la conception de la recherche peut aider à élaborer un programme de recherche qui interroge les risques différentiels, les complexités et les relations entre les individus et leur environnement, compte tenu de leur situation sociale. Dans ce contexte, il est nécessaire d’examiner de manière critique la façon dont les populations de recherche sont définies. Par exemple, les participants ciblés par la recherche sont-ils définis selon un axe unique (par exemple, les personnes qui s’injectent des drogues, les hommes qui ont des relations sexuelles avec d’autres hommes) ? Si c’est le cas, que pourrait-on mettre en évidence en modifiant ces définitions de manière à considérer les lieux sociaux dans la production de résultats en matière de santé ?

En outre, l’utilisation d’une méthode multiple (ethnographie, entretiens semi-structurés, enquêtes épidémiologiques, données de recensement, méthode des cas élargis) peut permettre une analyse plus dynamique des environnements à risque, car elle offre de multiples façons de caractériser les expériences. Par exemple, les entretiens qualitatifs permettent aux individus de se situer dans le temps et de montrer les contextes environnementaux plus larges et les cadres culturels sur lesquels les individus s’appuient pour comprendre et situer leurs expériences (McAdams, 2008). Ils peuvent également mieux élucider la relationnalité, car les entretiens qualitatifs sont bien placés pour saisir l’affect dans des situations relationnelles (Rhodes, 2018). Cependant, la compréhension du contexte plus large dans lequel les participants expérimentent, remettent en question, incarnent et reproduisent les processus peut être évaluée grâce à l’ethnographie et à l’approche de la méthode des cas étendus de la recherche ethnographique, qui peut rendre la recherche plus complexe et montrer comment ces processus sont constamment “en devenir” (par exemple, Hansen, 2017 ; Knight, 2017). Comme chaque méthode se prête à la triangulation et à la mise au jour des subtilités des expériences entre les groupes de PWUD, l’utilisation de plusieurs méthodes dans le cadre du processus de recherche peut mettre en évidence les façons variées et interdépendantes dont les résultats en matière de santé sont produits en relation avec les processus socio-structurels et les lieux sociaux.

Deuxièmement, l’opérationnalisation d’un cadre intersectionnel d’environnement à risque tout au long des analyses est impérative pour évaluer les voies intersectées et relationnelles par lesquelles les individus subissent des inégalités. S’appuyer sur le contexte local pour déterminer les lieux sociaux primaires et secondaires dans des contextes et situations socio-structurels spécifiques permet de mieux expliquer les manières nuancées dont les personnes s’engagent, s’adaptent et incarnent les environnements à risque intersectionnels. Cet article, comme d’autres avant lui (Bowleg, 2012 ; Hankivsky, 2012), a souligné comment la dichotomisation de variables telles que la race, le genre et la sexualité obscurcit les façons distinctes dont ces lieux sociaux façonnent les expériences. L’exploration de la manière dont ces lieux sociaux sont continuellement créés, reproduits, incarnés et remis en question par le biais de processus relationnels peut mieux illustrer la manière dont certaines personnes sont rendues plus vulnérables aux inégalités et dont les expériences sont variées. Tout en reconnaissant qu’il peut être nécessaire d’adapter cette approche à la recherche épidémiologique compte tenu des contraintes analytiques (Bauer, 2014), il est impératif de faire preuve de transparence quant au choix de certaines variables par rapport à d’autres.

L’analyse et l’interprétation des résultats de la recherche à l’aide d’un environnement de risque intersectionnel peuvent permettre d’évaluer d’autres domaines contribuant aux résultats en matière de santé sur la base de la situation sociale. Dans ce contexte, les systèmes de pouvoir, d’inégalité et de privilège doivent être examinés, ainsi que les cadres culturels des lieux sociaux tels que la race, le genre et la sexualité, entre autres. Cependant, le moment historique particulier et les lieux sociaux des chercheurs et de la recherche doivent être pris en compte lors de l’analyse, ainsi que tout au long du processus de recherche, car ils ont un impact sur la théorisation en relation avec le cadre intersectionnel de l’environnement à risque.

3.3 Implications pour les politiques et les interventions

L’utilisation d’un cadre d’environnement de risque intersectionnel pour guider et analyser les politiques et les stratégies de santé publique peut mieux soutenir les efforts de justice sociale visant à réduire les inégalités entre les populations qui consomment des drogues et au sein de celles-ci. L’élaboration des politiques adopte souvent une approche unidimensionnelle, qui peut réifier les conséquences oppressives des risques intersectionnels (Hankivsky et al., 2010) en se concentrant étroitement sur des lieux sociaux singuliers (par exemple, le genre). Comprendre les façons nuancées dont les risques intersectionnels contribuent à l’hétérogénéité des expériences dans la production de résultats en matière de santé peut contribuer à une approche plus inclusive de la définition des problèmes, de l’élaboration de solutions et de la mise en œuvre de stratégies politiques et d’intervention. L’inclusion de populations diverses (c’est-à-dire un échantillon de personnes dont la race, la sexualité, le genre, l’âge, les capacités et d’autres situations sociales représentent plus largement les intersections du pouvoir et de l’oppression) pour contribuer aux processus d’élaboration des politiques ou la collaboration avec des groupes communautaires pour explorer les conséquences involontaires potentielles des interventions proposées (Réseau juridique canadien VIH/sida, 2005) sont également très prometteuses pour l’élaboration et la mise en œuvre de stratégies de santé publique plus adéquates. L’intersectionnalité ne suggère pas que la multitude de facteurs qui façonnent nos vies ont la même signification sociale, car certains de ces facteurs sont ancrés dans les structures sociales et les relations d’inégalité. D’autres facteurs peuvent avoir un impact sur notre vie quotidienne, mais ils ne sont pas nécessairement ancrés dans des relations d’oppression et de pouvoir.

Nous soutenons également qu’il est nécessaire d’élargir la compréhension des conséquences imprévues de certaines politiques et stratégies de santé publique. Par exemple, lors de l’élaboration de politiques relatives aux interventions liées aux surdoses, le fait de s’appuyer sur des recherches qui incluent et/ou collaborent avec des groupes divers tels que les personnes racialisées et de genre différent, les jeunes et les personnes âgées, les personnes aux statuts socio-économiques variés, ainsi que les personnes logées et non logées, peut contribuer à la mise en œuvre de services de manière à limiter les obstacles à l’accès, la stigmatisation, et à minimiser les risques. En outre, les efforts actuels qui s’appuient sur l’expertise des PWUD pour faire face à la crise des surdoses par le biais de programmes de travailleurs pairs ou de naloxone administrée par des pairs ont eu une influence sur l’accès des PWUD qui se heurtent à des obstacles lorsqu’ils accèdent aux services, tout en permettant simultanément aux PWUD de jouer un rôle plus important dans les efforts de santé publique (Bardwell et al., 2019 ; Faulkner-Gurstein, 2017).

Ces efforts peuvent également être utiles pour façonner le discours public, car le cadre fournit une lentille pour examiner comment les stratégies actuelles peuvent réifier la discrimination et la stigmatisation des PWUD lors de la définition des problèmes et des solutions. En outre, l’analyse critique de ceux qui définissent les politiques et les questions de santé publique est importante pour évaluer si les approches politiques actuelles renforcent l’inégalité pour certaines populations (Lapalme et al., 2019). L’implication de diverses populations et de représentants communautaires dans les dialogues sur les politiques et la santé publique peut mieux remettre en question le statu quo et minimiser les généralisations et les impacts divers sont mis en évidence.

4. Conclusion

Les facteurs socio-structurels étant inextricablement liés aux lieux sociaux et les façonnant, il est impératif d’adopter une approche holistique pour comprendre les divers impacts et résultats sur la santé. L’application d’un cadre intersectionnel de l’environnement de risque permet de mieux comprendre les risques variés au sein des populations et entre elles, en veillant à ce que des lieux sociaux particuliers ne soient pas englobés dans d’autres, ce qui créerait des lacunes dans les soins et les services nécessaires. Ce faisant, ce cadre offre un concept plus large pour aborder les inégalités en matière de santé et peut faciliter la création d’environnements favorables basés sur les divers besoins et risques des individus.

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