Prévalence de l’usage prolongé de benzodiazépines prescrites dans la population générale française en fonction de facteurs sociodémographiques et cliniques : résultats de la cohorte CONSTANCES. 2019.

Airagnes, G., Lemogne, C., Renuy, A., Goldberg, M., Hoertel, N., Roquelaure, Y., … & Zins, M. (2019). Prevalence of prescribed benzodiazepine long-term use in the French general population according to sociodemographic and clinical factors: findings from the CONSTANCES cohort. BMC Public Health, 19, 1-9.

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Abstract.

Contexte

Nous manquons de données sur la prévalence de l’utilisation à long terme des benzodiazépines dans la population générale. Notre objectif était d’examiner la prévalence de l’usage prolongé de benzodiazépines prescrites (BLTU) en fonction de facteurs sociodémographiques et cliniques dans la population générale française.

Méthodologie

Les données proviennent de 4686 hommes et 4849 femmes inclus en 2015 dans la cohorte CONSTANCES, basée sur la population française. La BLTU a été étudiée à partir des registres administratifs de remboursement des médicaments de 2009 à 2015. Les analyses ont été pondérées pour fournir des résultats représentatifs de la population générale française couverte par le régime général d’assurance maladie. La prévalence pondérée de la BTLU et les Odds Ratios (OR) pondérés d’avoir la BTLU ont été calculés avec leur Intervalle de Confiance à 95% (IC 95%) selon l’âge, le niveau d’éducation, le statut professionnel, le grade professionnel, le revenu du ménage, l’état matrimonial, le risque de trouble lié à l’utilisation d’alcool et les symptômes dépressifs. Toutes les analyses ont été stratifiées en fonction du sexe.

Résultats

La prévalence pondérée des BLTU était de 2,8 % (IC à 95 % : 2,3-3,4) et de 3,8 % (IC à 95 % : 3,3-4,5) chez les hommes et les femmes, respectivement. Par rapport aux hommes, les femmes présentaient un risque accru d’usage prolongé de benzodiazépines, avec un OR = 1,34 (IC à 95 % = 1,02-1,76). Le vieillissement, le faible niveau d’éducation, l’absence de travail, le faible niveau professionnel, le faible revenu, le fait d’être seul et l’état dépressif étaient associés à un risque accru d’utilisation prolongée de benzodiazépines.

Conclusions

La BLTU est largement répandue dans la population générale française, mais ce problème peut concerner plus particulièrement les sous-groupes vulnérables. Ces résultats peuvent contribuer à attirer l’attention sur ce fardeau de santé publique et à cibler des sous-groupes à risque spécifiques dans le cadre d’interventions préventives.


Contexte.

Les benzodiazépines sont les médicaments les plus prescrits dans le monde et sont principalement utilisées pour leurs propriétés anxiolytiques. Par exemple, aux États-Unis, l’alprazolam était le médicament le plus prescrit en 2013. En France, 20 % de l’ensemble de la population a consommé au moins une fois une benzodiazépine en 2010. Cette consommation représentait 124 milliards de boîtes et 3,8 % de la consommation totale de médicaments en 2010. Bien que l’indication d’un usage chronique ne concerne que de rares pathologies comme les syndromes dystoniques, l’usage à long terme des benzodiazépines (c’est-à-dire plusieurs semaines de consommation continue) est un phénomène très courant dans de nombreux pays, y compris ceux où les benzodiazépines ne peuvent être achetées que sur ordonnance, comme en France. Les directives internationales, qui reposent sur un consensus d’experts, diffèrent quant à la durée maximale de prescription recommandée, par exemple 4 semaines au Royaume-Uni et 12 semaines en France, pour les indications habituelles telles que les troubles du sommeil ou l’anxiété. Malgré ces recommandations, la durée médiane du traitement est souvent beaucoup plus élevée, comme 7 mois dans la population générale française en 2010. Les raisons de cette utilisation à long terme ne sont pas encore claires, bien qu’elles incluent au moins, de la part des patients et des prescripteurs, une diffusion et une connaissance insuffisantes des recommandations qui sont donc insuffisamment mises en œuvre, et une sous-estimation des conséquences néfastes de l’utilisation à long terme des benzodiazépines par les prescripteurs et les patients. Cependant, l’exposition à long terme aux benzodiazépines est associée à des effets secondaires importants, y compris le risque de dépendance et les symptômes qui y sont liés (par exemple, l’état de manque, les symptômes de sevrage) et d’autres effets secondaires potentiellement mortels tels que l’augmentation des risques de chute, d’accident de voiture et d’insuffisance respiratoire. En outre, il convient de noter que plusieurs symptômes de sevrage peuvent être perçus comme la résurgence des symptômes qui ont motivé la prescription initiale de benzodiazépines (par exemple, troubles du sommeil ou anxiété), ce qui conduit à la reprise de l’utilisation des benzodiazépines. L’utilisation à long terme de benzodiazépines a également été associée à des effets secondaires psychologiques (troubles cognitifs, humeur dépressive, augmentation de l’impulsivité et des comportements suicidaires, troubles du sommeil) et à des maladies spécifiques (cancers, maladie d’Alzheimer). Pour prévenir ces effets néfastes, il est donc crucial de décrire le poids de l’usage prolongé des benzodiazépines au niveau de la population afin de cibler les sous-groupes à risque et d’ajuster les stratégies de dépistage et de prévention en fonction de l’évaluation de leur efficacité, sur la base des changements de prévalence.

Cependant, la littérature manque de données sur la prévalence de l’usage prolongé de benzodiazépines dans la population générale. Lorsqu’elles sont disponibles, ces données sont généralement autodéclarées. En effet, le dépistage n’est pas toujours facile à réaliser dans le cadre des soins primaires. Bien que l’autodéclaration puisse être fiable dans certains domaines (par exemple l’éducation), cette fiabilité peut être remise en question lorsqu’il s’agit de l’usage à long terme des benzodiazépines. Le manque de connaissances sur le type de médicament utilisé, la désirabilité sociale ou la peur de la stigmatisation associée aux troubles mentaux, la peur de révéler qu’on a plusieurs prescripteurs ou qu’une telle révélation peut entraîner une réduction de l’accès aux benzodiazépines sont des exemples de biais qui peuvent spécifiquement contribuer à une mauvaise déclaration de l’usage à long terme des benzodiazépines, même lors d’un dépistage ciblé. En outre, le fait de se souvenir d’avoir pris une benzodiazépine pendant plus ou moins de 12 semaines au cours des années précédentes pourrait être particulièrement sujet à un biais de mémorisation, en particulier pour les médicaments dont les noms commerciaux et moléculaires sont nombreux et différents. Seules quelques études étaient basées sur des rapports objectifs (par exemple, des registres administratifs) et leurs analyses descriptives étaient principalement présentées en doses quotidiennes définies (DDD) pour 1000 participants par jour. Cet outil statistique est utile pour comparer les consommations globales entre deux échantillons, mais ne peut pas renseigner sur la prévalence de l’utilisation à long terme des benzodiazépines, car cet indicateur varie en fonction de l’intensité de la consommation et de la durée d’utilisation par patient. En outre, les ensembles de données avec des rapports objectifs manquent souvent de variables sociodémographiques et cliniques, ce qui ne permet pas d’effectuer des analyses descriptives en fonction des sous-groupes à risque. Toutefois, des études antérieures ont montré que les consommateurs de benzodiazépines étaient plus souvent des femmes, des personnes de faible niveau professionnel, des personnes d’âge moyen et des personnes souffrant de maladies chroniques. Cependant, ces données ont été moins explorées dans le sous-groupe présentant le risque le plus élevé d’effets secondaires, à savoir les utilisateurs à long terme. Outre l’âge, le sexe et la catégorie professionnelle, d’autres facteurs sociodémographiques tels que l’éducation, le statut professionnel, le revenu et la situation matrimoniale pourraient également être associés à l’utilisation à long terme des benzodiazépines. Ces associations seraient en accord avec celles trouvées pour d’autres types de substances, comme la consommation d’alcool et de tabac. En ce qui concerne les facteurs cliniques, l’usage prolongé de benzodiazépines pourrait être plus fréquent chez les personnes souffrant de dépression ou de troubles liés à la consommation d’alcool. Par conséquent, une estimation de la prévalence de l’usage prolongé de benzodiazépines dans la population générale, stratifiée en fonction des facteurs sociodémographiques et cliniques, serait particulièrement utile pour cibler les populations à risque dans le cadre de stratégies de dépistage et de prévention.

La cohorte CONSTANCES comprend un large échantillon randomisé de la population française, de différents statuts sociodémographiques. Son couplage avec les bases de données nationales des médicaments remboursés permet de recueillir les données relatives à l’ensemble des traitements prescrits dès que le patient les a achetés en pharmacie. Des analyses pondérées pourraient être réalisées afin de fournir des résultats représentatifs de la population générale française couverte par le régime général d’assurance maladie. Nous avons donc profité de la cohorte CONSTANCES pour étudier la prévalence de l’usage prolongé des benzodiazépines dans la population générale française en fonction de facteurs sociodémographiques et cliniques.

[Je vous laisse aller voir la méthode sur le papier, c’est relou à traduire et on lit jamais tout en intégralité, on passe aux résultats…]

Résultats.

La prévalence de l’usage prolongé de benzodiazépines dans la population générale française couverte par le régime général d’assurance maladie était de 2,8 % (IC 95 % = 2,3-3,4) et de 3,8 % (IC 95 % = 3,3-4,5) chez les hommes et les femmes, respectivement. Les distributions de la prévalence de l’usage prolongé de benzodiazépines en fonction des variables sociodémographiques et cliniques sont présentées dans le tableau 1. Les données détaillées sont présentées dans le fichier supplémentaire 1 : tableau S1 et le fichier supplémentaire 2 : tableau S2 pour les hommes et les femmes, respectivement.

[TABLEAU 1]

Par rapport aux hommes, les femmes présentaient un risque accru d’utilisation prolongée de benzodiazépines avec un odds ratio (OR) = 1,34 (IC 95 % = 1,02-1,76). Chez les hommes comme chez les femmes, les conditions suivantes étaient associées à un risque accru d’usage prolongé de benzodiazépines : âge supérieur à 35 ans par rapport à un âge inférieur ; ne pas être en couple ; faible niveau d’éducation ; faible revenu ; ne pas avoir d’emploi ; état dépressif (tous les p < 0,05 ; tableau 2). Nous n’avons pas trouvé d’association significative entre le risque de troubles liés à la consommation d’alcool et l’usage prolongé de benzodiazépines. Tous les résultats ont été pondérés pour assurer la représentativité de la population générale française couverte par le régime général d’assurance maladie.

[TABLEAU 2]

Discussion.

À notre connaissance, il s’agit de la première étude portant sur la prévalence de l’usage prolongé de benzodiazépines dans une cohorte représentative de la population nationale et examinant séparément les hommes et les femmes. De plus, la taille de l’échantillon nous a permis d’effectuer des analyses stratifiées pour les variables sociodémographiques et cliniques. Enfin, la délivrance de benzodiazépines à long terme a été identifiée grâce à des registres administratifs, ce qui a permis d’obtenir un rapport objectif sans données manquantes.

Cependant, cette étude présente plusieurs limites. Tout d’abord, nous n’avons pas pu vérifier que les médicaments délivrés étaient effectivement utilisés et cette méthode d’évaluation n’incluait pas les consommations en vente libre. Toutefois, il est peu probable que l’on se rende à la pharmacie pour obtenir des benzodiazépines au moins quatre fois sans en consommer réellement. De plus, les benzodiazépines ne peuvent être obtenues sans ordonnance en France ; la consommation en vente libre est donc plus limitée que dans d’autres pays où ces médicaments peuvent être achetés sans ordonnance. La prise en compte de ces limites pourrait nécessiter des techniques de contrôle de l’observance utilisées en recherche clinique (par exemple, comptage manuel ou électronique des pilules, dosages sanguins ou urinaires répétés), qui ne sont pas bien adaptées à l’épidémiologie étant donné le coût très élevé du suivi de milliers de sujets de cette manière. D’autre part, les coefficients de pondération n’étant disponibles que pour les participants du régime général d’assurance maladie, la représentativité de nos résultats est limitée à ce groupe. Or, ce régime concerne le plus grand nombre d’individus en France, soit plus de 90 %.

Nos résultats concernant les différences de prévalence en fonction des facteurs sociodémographiques et cliniques sont en accord avec les résultats d’autres études de cohorte qui ont trouvé des associations entre l’usage inapproprié de benzodiazépines et le sexe, l’âge, le niveau d’éducation, le statut professionnel, le grade professionnel, le revenu, le statut marital et les symptômes dépressifs. Cependant, du point de vue de la santé publique, nous avons fourni une prévalence pondérée et des rapports de cotes pondérés, qui nous renseignent non seulement sur les associations significatives mais aussi sur le nombre de sujets concernés dans un échantillon national représentatif. En ce qui concerne les différences entre les sexes, on a constaté que les femmes étaient plus enclines à consommer des benzodiazépines dans plusieurs pays. Plusieurs hypothèses ont été proposées pour expliquer ces différences, comme des troubles de l’humeur et de l’anxiété plus fréquents chez les femmes, combinés à un recours plus fréquent au système de soins de santé. En outre, si les hommes ont souvent recours à l’alcool pour faire face au stress ou aux émotions négatives, les femmes pourraient être plus enclines à utiliser des médicaments pour faire face à ces situations. Nos résultats étant basés sur des analyses pondérées, les interactions entre le sexe et les covariables auraient été difficiles à interpréter et n’ont donc pas été recherchées dans la présente étude qui vise à fournir des estimations représentatives au niveau national. Cependant, d’autres études basées sur des données brutes pourraient explorer les différences potentielles entre les sexes dans les associations entre l’utilisation à long terme des benzodiazépines et les facteurs sociodémographiques et cliniques.

La présente étude montre que l’usage prolongé de benzodiazépines concerne un très grand nombre de sujets dans la population générale française. Ce problème ne semble pas spécifique à la France, avec des alertes dans plusieurs autres pays tels que le Royaume-Uni, la Norvège, la Suède, l’Allemagne, les Pays-Bas, le Danemark, les Etats-Unis et l’Australie. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer cette forte prévalence de l’usage à long terme des benzodiazépines. En ce qui concerne les prescripteurs, plusieurs raisons peuvent expliquer pourquoi les benzodiazépines sont prescrites au-delà de la durée maximale recommandée. Tout d’abord, les patients souffrant d’une dépendance aux benzodiazépines peuvent s’adresser à plusieurs prescripteurs. Deuxièmement, les prescripteurs se sentent souvent impuissants lorsqu’un patient mentionne des troubles émotionnels (par exemple, stress, anxiété, troubles du sommeil). La prescription de benzodiazépines apparaît comme une réponse thérapeutique simple et efficace, alors même que des traitements non médicamenteux seraient préférables et qu’une évaluation psychiatrique plus approfondie serait nécessaire. En ce qui concerne les patients, plusieurs raisons peuvent expliquer leur difficulté à se sevrer des benzodiazépines. Tout d’abord, les benzodiazépines sont particulièrement susceptibles d’induire une dépendance. Elles procurent une sensation de bien-être physique et psychologique qui est rapidement perçue, ce qui peut conduire à leur utilisation compulsive. Il existe également un phénomène de tolérance, de sorte que la diminution des effets peut conduire à une augmentation des doses et donc à un risque accru de dépendance. Après plusieurs semaines de traitement, l’apparition de symptômes de sevrage à l’arrêt peut conduire à une reprise du traitement, surtout si ces symptômes ne sont pas interprétés comme un sevrage mais comme la réapparition de symptômes pour lesquels le traitement a été initialement prescrit. Deuxièmement, même sans devenir dépendantes, certaines personnes peuvent utiliser des benzodiazépines pour faire face au stress ou pour améliorer leurs performances. Troisièmement, certains troubles mentaux chroniques peuvent être mal traités par les benzodiazépines. Par exemple, des résultats antérieurs ont montré que de nombreux patients atteints du syndrome dépressif majeur reçoivent des benzodiazépines au lieu d’un antidépresseur. Des recherches futures utilisant des méthodologies qualitatives seraient utiles pour mieux comprendre les motivations des patients et des prescripteurs à utiliser des benzodiazépines de manière chronique.

Pour prévenir les conséquences néfastes de l’usage chronique, plusieurs lignes directrices ont été publiées pour aider les praticiens, notamment en ce qui concerne le dépistage et la gestion du sevrage. Cependant, seules de légères baisses de prévalence ont été observées ces dernières années (par exemple, en France, entre 2012 et 2015, la prévalence d’au moins une consommation dans l’année a diminué de 3,8 %). Nos résultats peuvent être utiles pour construire des campagnes d’information et de prévention de santé publique pour le grand public en ciblant des sous-groupes à risque spécifiques en fonction des facteurs sociodémographiques. D’autres études devraient se concentrer sur des groupes spécifiques non inclus dans le régime général de sécurité sociale, tels que les agriculteurs ou les travailleurs indépendants. Étant donné que plusieurs effets secondaires de l’utilisation à long terme des benzodiazépines peuvent différer selon les dosages (par exemple, troubles cognitifs, sédation), les études futures devraient prendre en compte non seulement la durée de la consommation, mais aussi les dosages.

Conclusion.

La prévalence de l’usage prolongé de benzodiazépines prescrites dans la population générale française était de 2,8 % (IC 95 % = 2,3-3,4) et de 3,8 % (IC 95 % = 3,3-4,5) chez les hommes et les femmes, respectivement. Le vieillissement, les mauvaises conditions sociodémographiques et l’état dépressif étaient significativement associés à un risque accru d’utilisation à long terme de benzodiazépines. Ces résultats, basés sur des analyses pondérées des participants inclus en 2015 dans la cohorte nationale CONSTANCES basée sur la population, renseignent non seulement sur les associations significatives mais aussi sur le nombre de sujets concernés. Ainsi, l’usage à long terme de benzodiazépines est largement répandu dans la population générale française, mais ce problème peut concerner plus particulièrement les sous-groupes vulnérables. Ces résultats peuvent contribuer à attirer l’attention sur ce fardeau de santé publique et à cibler des sous-groupes à risque spécifiques dans le cadre d’interventions préventives.

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