Qu’est-il bon de savoir sur les drogues ? – Regard approfondi sur les substances psychoactives.

IV. Cathinones, psychédéliques.

Cathinones.

Le Delaware interdit les “sels de bain”. 2012.

Tout comme l’amphétamine, la cathinone produit une excitation comportementale, un éveil cognitif, l’euphorie, et la perte d’appétit. Elle peut aussi mener à la dépendance.

Grisel, J. (2019). Never Enough. p. 163.

La famille des cathinones s’est particulièrement fait connaître grâce à la pratique du chemsex avec lequel la méphédrone (4-MMC) et la 3-MMC sont fortement associées depuis plusieurs années (et plus récemment la 3-CMC). Un rapport français sur le chemsex a d’ailleurs vu le jour en 2020 afin de faire un état des lieux sur la pratique et les consommations associées. On retrouve dans le chemsex d’autres substances comme le GHB, et on peut étendre la définition à toute pratique mélangeant sexe et substances dans une recherche de synergie, ce qui place virtuellement toutes les drogues comme potentiellement impliquées dans le chemsex, bien que certaines soient plus utilisées que d’autres pour des raisons évidentes (effets entactogènes, stimulants, etc, permettant un plaisir augmenté et des performances améliorées, avec tous les risques que cela implique). Cependant, le concept de chemsex fait l’objet d’une revendication identitaire et il peut s’avérer périlleux de l’utiliser dans un contexte plus large que celui duquel il a émergé à l’origine.

En quelques années, la méphédrone (4-MMC), très présente dans le milieu du Chemsex en Europe, s’est vue remplacée par la 3-MMC (3-MéthylMéthCathinone), arrivant sur le marché à partir de 2011, notamment en réponse aux interdictions législatives prises dans de nombreux pays, dont la France.

Rapport Chemsex, pour le Ministère de la Santé, par le Professeur Amine Benyamina, 2022.

D’où viennent les cathinones ?

Le khat (Catha edulis Forsk., Celastraceae) est une plante à fleurs originaire d’Éthiopie, bien qu’elle ait également été largement cultivée et consommée dans certaines parties de l’Afrique de l’Est et de la péninsule arabique. Les feuilles fraîches de khat sont généralement mâchées pour former un bolus (quid) afin d’obtenir des effets stimulants et euphorisants. Dans ces pays, la mastication du khat représente une tradition profondément enracinée qui est pratiquée pour éviter la faim et la fatigue ainsi que pour faciliter les interactions sociales. Cette habitude est une activité typique des sessions sociales de khat, au cours desquelles chaque participant mâche généralement entre 100 et 200 g de feuilles. Le khat peut également être ingéré en préparant une boisson à partir de feuilles séchées ou, plus rarement, en fumant des feuilles séchées.

Nous en savons maintenant un peu plus sur les effets néfastes de la méphédrone. Les usagers font état d’effets négatifs tels que serrement de mâchoire, nausées, anxiété, insomnie, paranoïa et hallucinations, probablement liés à un manque de sommeil. Les gros consommateurs peuvent souffrir d’insomnie et le risque de paranoïa, voire de déclenchement d’un épisode psychotique, est également présent. La plupart de ces effets négatifs sont relativement bénins et de courte durée, mais certains usagers se retrouvent à l’hôpital, présentant généralement un rythme cardiaque rapide et irrégulier, une oppression thoracique, de l’agitation, une transpiration excessive et des maux de tête. Plus inquiétant encore, 15 à 85 % des usagers ont déclaré avoir des envies irrépressibles de consommer la drogue, ce qui laisse supposer que certains en font un usage compulsif et deviennent dépendants. Le désir d’une redose rapide semble être plus aigu lorsque les personnes sniffent la poudre plutôt qu’elles ne la mangent, ce qui est logique puisque plus une drogue atteint rapidement le cerveau, plus elle est addictive.

Nutt, D. (2012). Drugs-without the hot air: Minimising the harms of legal and illegal drugs. Chapitre 7.

Mécanisme.

Les effets de la cathinone et de ses dérivés sont médiés par l’inversion ou l’inhibition des transporteurs de recapture des monoamines. La cathinone agit de préférence comme un inhibiteur des catécholamines et un libérateur de dopamine, avec un profil similaire à celui de l’amphétamine. En revanche, la méphédrone a démontré son action en tant qu’inhibiteur non sélectif de la recapture des monoamines et libérateur comparable à la MDMA. L’activité de la cathinone et de la méphédrone sur les transporteurs de sérotonine et de dopamine, en particulier dans le noyau accumbens, peut contribuer à leurs effets psychostimulants et renforçateurs, qui ressemblent à ceux de l’amphétamine et de la MDMA.

Les cathinones agissent de manière similaire à leur homologue non-β-céto, l’AMPH, avec lequel elles partagent les effets sympathomimétiques [effets cardiovasculaires (par exemple, augmentation de la pression artérielle, de la force contractile et de la fréquence cardiaque), hyperthermie et mydriase]. En fait, la cathinone interagit avec les transporteurs de monoamines, à la fois in vitro et in vivo, agissant plus comme un libérateur de monoamines que comme un inhibiteur de la recapture. Les cathinones de synthèse ressemblent chimiquement à ce psychostimulant naturel et aux amphétamines. On peut donc s’attendre à ce que ces nouveaux produits de synthèse (NPS) puissent interagir avec les transporteurs et les récepteurs des monoamines dans le cerveau d’une manière similaire à celle des amphétamines classiques. En fait, ces NPS interagissent avec les transporteurs membranaires de monoamines, à savoir les transporteurs de dopamine, de noradrénaline et de sérotonine, se comportant comme des bloqueurs et/ou des substrats, augmentant ainsi la teneur en monoamines dans la fente synaptique et conduisant par conséquent à l’hyper-stimulation des récepteurs post-synaptiques. D’autre part, ces substances interagissent directement avec les récepteurs monoaminergiques pré et/ou postsynaptiques, bien qu’elles aient généralement une affinité plus faible pour les récepteurs monoaminergiques que pour les transporteurs de monoamines.

Les substances que l’on retrouve dans la catégorie des cathinones :

Luethi, D., Liechti, M.E. Designer drugs: mechanism of action and adverse effects. Arch Toxicol 94, 1085–1133 (2020). https://doi.org/10.1007/s00204-020-02693-7

Aller plus loin sur les cathinones :

Papiers scientifiques :

Psychédéliques.

Bicycle day.

Peut-être l’expérience de la drogue porte-t-elle des fruits significatifs lorsqu’elle est enracinée dans le sol d’un esprit mûr et cultivé. Mais cette expérience a soudain été saisie par une génération de jeunes qui sont pathétiquement a-culturels et qui n’apportent souvent rien d’autre à l’expérience qu’un désir vide. Dans leur rébellion adolescente, ils se sont débarrassés de la culture corrompue de leurs aînés et, avec cette eau de bain souillée, du corps même de l’héritage occidental, au mieux en faveur de traditions exotiques qu’ils ne comprennent que marginalement, au pire en faveur d’un chaos introspectif dans lequel les dix-sept ou dix-huit années de leur vie non formée flottent comme des atomes dans le vide.

Theodore Roszak, qui a inventé le mot “contre-culture” et a fait la chronique du mouvement hippie. Dans : Grisel, J. (2019). Never Enough. p. 150.

Qu’est-ce que les psychédéliques ?

Tous les psychédéliques stimulent directement un sous-type particulier de nos récepteurs de sérotonine ; il s’agit des récepteurs 5HT2A, qui jouent un rôle important dans les fonctions cérébrales supérieures. L’effet le plus connu est la production de visuels inhabituels – pas de véritables hallucinations (qui sont des images sans fondement dans la réalité), mais des distorsions étranges et des ajouts imaginatifs aux images des choses physiquement présentes. Ces phénomènes peuvent se produire aussi bien les yeux ouverts que les yeux fermés. Les drogues psychédéliques sont également empathogènes – elles créent des sensations d’attention, d’amour et de connexion avec d’autres personnes et avec le monde naturel.

Le terme psychédélique signifie “manifestation de l’esprit”, ce qui sert à imager l’introspection associée à la consommation de ces substances. Cette définition pourrait laisser penser à bien d’autres drogues que les psychédéliques auxquels on associe souvent le terme, il est donc important de noter que ce terme réfère dans la recherche scientifiques aux substances agissant directement sur les récepteurs 5HT2A. Il faut dans cette optique prendre aussi en compte la MDMA et la kétamine, qui ne sont pas des psychédéliques classiques mais ont bel et bien une action que l’on peut qualifier de psychédélique.

Compte tenu de l’utilisation historique répandue des psychédéliques comme sacrements dans une variété d’autres cultures, la définition de Jérôme Jaffe en 1990 pour la classe des psychédéliques peut peut-être être appréciée :

…la caractéristique qui distingue les agents psychédéliques des autres classes de drogues est leur capacité à induire de manière fiable des états de perception, de pensée et de sentiment altérés qui ne sont pas expérimentés autrement, sauf dans les rêves ou dans les moments d’exaltation religieuse.

Jaffe JH. (1990) Drug addiction and drug abuse, in Goodman and Gilman’s the Pharmacological Basis of Therapeutics (Goodman AG, Rall TW, Nies AS, Taylor P. eds) 8th ed, pp 522–573, McGraw Hill, New York.

L’un des pionniers de la recherche sur le LSD, le regretté Daniel Freedman, a noté que

…une dimension fondamentale du comportement… révélée de manière convaincante dans les états de LSD est le ‘présage’ – la capacité de l’esprit à voir plus qu’il ne peut dire, à expérimenter plus qu’il ne peut expliquer, à croire et à être impressionné par plus qu’il ne peut justifier rationnellement, à expérimenter l’illimité et les événements ‘sans limites’, du banal au profond.

Freedman DX. (1968) On the use and abuse of LSD. Arch Gen Psychiatry 18:330–347.

L’utilisation des psychédéliques comme élément central de nombreuses pratiques religieuses, ainsi que les effets psychopharmacologiques profonds et uniques suggérés par la définition de Jaffe et les observations de Freedman, permettent de prendre conscience que les psychédéliques constituent une catégorie à part entière de substances altérant l’esprit. En effet, cette connaissance a incité Carl Ruck et ses collègues en 1979 à inventer le mot enthéogène pour remplacer les termes hallucinogène et psychédélique, qu’ils considéraient tous deux comme ayant des connotations négatives. L’enthéogène est dérivé des racines grecques entheos, qui signifie “Dieu (theos) à l’intérieur”, et genesthe, qui signifie “générer”. Le mot enthéogène désigne donc essentiellement une substance ou un matériau qui génère Dieu ou le divin en quelqu’un. Bien qu’il semble peu probable que le terme enthéogène soit adopté par la communauté scientifique officielle, il est intéressant de savoir que dans certains cercles enthéogène est synonyme de psychédélique.

Néanmoins, il faut savoir que les effets produits par les psychédéliques (nous pourrions même dire des drogues en général) dépendent fortement de la disposition mentale individuelle et du contexte d’usage. C’est le set & settings.

Ce qu’il est important de savoir.

Pendant des décennies, les médias ont largement dépeint les psychédéliques comme des drogues extrêmement dangereuses ; en fait, les psychédéliques sérotoninergiques classiques sont généralement considérés comme très sûrs sur le plan physiologique par rapport aux opiacés et aux psychostimulants, comme on a pu le voir dans les graphiques au début de cet article.

Néanmoins, malgré la sécurité physiologique relative des psychédéliques, ils peuvent entraîner de graves conséquences psychologiques. Ces substances n’entraînent pas d’accoutumance ou de dépendance et ne semblent pas impliquer de renforcement lié à l’usage. Cela est compréhensible quand on sait que les hallucinogènes sérotoninergiques n’ont pas d’effets directs sur les systèmes dopaminergiques du cerveau, une pharmacologie qui semble essentielle pour presque toutes les drogues pouvant engendrer une dépendance.

La consommation de fortes doses de psychédéliques peut entraîner des problèmes vasculaires car le récepteur 5-HT2A est associé à la contraction des muscles lisses vasculaires, à l’agrégation plaquettaire, à la formation de thrombus et aux spasmes des artères coronaires. La vasoconstriction aiguë provoquée par la sérotonine est généralement partagée par l’activation des récepteurs 5-HT1B et 5-HT2A ; cependant, dans les artères intracrâniennes, seul le récepteur 5-HT1B est le médiateur de la constriction.

L’administration répétée de psychédéliques entraîne un développement très rapide de la tolérance, connu sous le nom de tachyphylaxie, un phénomène qui résulterait de la régulation négative des récepteurs 5-HT2A. L’administration quotidienne de LSD entraîne essentiellement une perte totale de sensibilité aux effets de la drogue au quatrième jour. De même, chez l’homme, l’administration quotidienne de l’amphétamine hallucinogène 2,5-diméthoxy-4-méthylamphétamine (DOM) entraîne une tolérance importante aux effets de la drogue au troisième jour. Chez les humains, une tolérance croisée se produit entre la mescaline et le LSD et entre la psilocybine et le LSD.

Les substances que l’on retrouve dans la catégorie des psychédéliques :

Luethi, D., Liechti, M.E. Designer drugs: mechanism of action and adverse effects. Arch Toxicol 94, 1085–1133 (2020). https://doi.org/10.1007/s00204-020-02693-7

Aller plus loin sur les psychédéliques :

Papiers scientifiques :

Livres :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *